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« Tous les cabinets ont pris un coup sur la tête »

Par Ondine Delaunay

Philippe None, managing partner d’Ashurst, témoigne sans langue de bois des quelques semaines de confinement des équipes de son cabinet, des décisions qui ont été prises par la firme et de l’état du marché des structures anglo-saxonnes, notamment à l’approche d’une deuxième étape majeure : le Brexit.

Quelle a été l’activité du bureau parisien d’Ashurst pendant le confinement ?

L’année 2020 avait bien débuté donc nous avons continué sur notre lancée avec de nouvelles instructions en droit social et restructuring. En période de crise, le modèle de cabinet pluridisciplinaire démontre sa résilience puisque certains départements sont en mesure de prendre le relais des pratiques plus ralenties. En transactionnel, les difficultés de valorisation limitent considérablement les opérations et l’activité tourne donc au ralenti. Mais d’autres équipes sont très occupées comme en droit social, en restructuring, en grands projets ou encore en financement. La pratique arbitrale n’a quant à elle quasiment pas été impactée. Pour les autres secteurs, il s’agit plutôt d’un ralentissement progressif. Je pense par exemple à l’immobilier, même si les opportunités ne vont pas manquer et si certains de nos clients se positionnent déjà. Compte tenu de la baisse des heures facturables quotidiennes, nous anticipons une baisse de notre chiffre d’affaires, comme nos confrères.

Nous espérons un retour à la normale en septembre, le temps pour chacun d’avoir une meilleure compréhension de l’impact de la crise sur son business. Mais l’attente peut générer d’autres formes d’activités pour les avocats, notamment en termes de conseil en réorganisation.

La voix des collaborateurs de certains cabinets s’élève sur les réseaux sociaux dénonçant la baisse de leurs rétrocessions. Qu’en est-il chez Ashurst ?

Nous avons été transparents dès le début avec l’ensemble des équipes. La firme a considéré – je crois, à juste titre – que tout le monde devait participer à l’effort. C’est d’abord la rémunération de l’ensemble des associés qui a été baissée de 20 %. Les collaborateurs se sont vus, pour leur part, demander une baisse de 20 % de leur rétrocession sur trois mois consécutifs, soit une baisse annualisée de 5 %. En parallèle, ils sont passés au 4/5e. Les bonus ont néanmoins été maintenus. Quant aux employés, ils ont été placés au chômage partiel et le cabinet s’est engagé à maintenir l’intégralité de leurs salaires.

Ces baisses, qui sont limitées, ne sont finalement que des mesures de cash management et nous sommes confiants dans un retour à meilleure fortune rapidement.

C’est-à-dire ?

Là où une poignée de structures françaises ont réfléchi à avoir recours au PGE, les firmes structurées sous LLP ont une approche très différente. Elles ont une gestion centralisée de leur cash et doivent donc être prudentes sur leur niveau de BFR. C’est pourquoi elles peuvent parfois décaler les distributions pour faire face à certaines situations de crise.

Ashurst est un cabinet qui est très peu endetté et je m’en félicite quand je constate les difficultés de quelques firmes qui ont longtemps tiré sur leur ligne de crédit pour assurer une distribution plus rapide aux associés. Ils ont aujourd’hui un créancier tiers, qui n’est pas leur confrère associé…

Vous attendez-vous à des faillites de cabinets ?

Non, je ne le pense pas même si les tensions sont indéniables dans plusieurs structures. Mais si cette crise se poursuivait sur la durée, elle pourrait donner lieu à une réorganisation du marché en accélérant souvent des mouvements inéluctables. Un mercato des avocats ne peut également pas être écarté, à terme. Tous les cabinets ont pris un coup sur la tête et réfléchissent à leur organisation en essayant d’éviter les erreurs faites en 2008-2009 (trop tôt/trop fort).

Après le Covid-19, les cabinets anglais vont également subir prochainement le Brexit…

Les cabinets anglais, mais également les cabinets américains ! Je rappelle en effet que la plupart des firmes outre-atlantiques sont installées à Paris via un LLP anglais… Fort heureusement, le débat sur la possibilité pour les LLP d’avoir une activité en France est sur le point d’être réglé. Nous pourrons continuer à exercer dans l’Hexagone.

Je crois que le Brexit peut également être une opportunité pour les bureaux d’Europe continentale des firmes anglo-saxonnes. Il est d’ailleurs intéressant de constater, cette année, l’augmentation du nombre de promotions internes dans les bureaux européens des marques du Magic Circle ou du Silver Circle. Chez Ashurst, nous reposons sur trois piliers : un tiers de notre chiffre d’affaires vient de l’Asie, un tiers d’Europe continentale et un tiers de Grande Bretagne. Nous ne sommes donc pas dépendants de l’activité UK. Ce n’est pas le cas de tous.

Ashurst Philippe None Coronavirus Covid-19