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Mercato des avocats 2021 : de nouvelles tendances se dessinent

Par Aurélia Granel

Si, pendant le confinement, le temps semblait s’être arrêté, les mouvements des avocats associés et collaborateurs ont redémarré sur les chapeaux de roues depuis fin 2020. Départs souhaités ou forcés, créations de nouveaux départements, renforcements d’équipes déjà constituées, implantations de cabinets en France ou encore évolution des rémunérations des avocats, Mélanie Tremblay, managing director, et Marc Muzard, senior director de SSQ, cabinet de recrutement spécialisé dans la recherche juridique, détaillent les tendances de l’année 2021.

Quelles tendances dégagez-vous des recrutements latéraux d’associés sur lesquels vous êtes mandatés ?

Marc Muzard : L’activité est soutenue en 2021 - de nombreuses discussions sont en cours. Le marché s’est discrètement modifié depuis la fin de l’année dernière. Certaines structures ont perdu des talents au profit de cabinets plus attractifs ou d’autres se sont délestées de leurs éléments sous-performant. Par ailleurs, si les mouvements individuels demeurent, la volonté de partir en groupe - généralement trois ou quatre associés – dans un cabinet international, dans une boutique existante ou pour créer une structure, se dessine depuis le début de l’année.

Mélanie Tremblay : Enfin, nos clients cabinets américains préféraient souvent investir à Londres par le passé. Or, avec le Brexit, le marché français est devenu d’autant plus attractif ; de telle sorte que des cabinets internationaux qui ne sont pas encore présents en France montrent leur intérêt pour une implantation dans des villes comme Paris, Dublin, Amsterdam et Bruxelles. À l’instar de Goodwin, Kirkland & Ellis, les firmes continueront sûrement à s’implanter en France. Les opportunités sont là, mais les structures internationales doivent être réalistes quant à leurs demandes afin de s’adapter au marché local. Nous faisons quotidiennement de la pédagogie auprès de nos clients internationaux sur le sujet.

Le marché des collaborateurs est-il aussi tendu que par le passé ?

Mélanie Tremblay : La tendance du recrutement des collaborateurs se rapproche de celle que nous avons connue avant la crise de 2008. Le marché demeure véritablement tendu en 2021. Un collaborateur, spécialisé en corporate et possédant de grandes qualités humaines se verra, sans aucun doute, proposer trois ou quatre offres de collaboration en parallèle. Cette forte demande a provoqué des tensions dans certaines structures. Nous avons en effet été mandatés, dès la fin de l’année 2020, par des cabinets anticipant une forte reprise d’activité, pour procéder à des recrutements multiples (trois, quatre, voire cinq collaborateurs). La réaction en chaîne ne s’est pas fait attendre, avec un système de chaises musicales assez important. Un recrutement s’anticipe, de même que les actions à instaurer pour garder ses talents, au risque de se retrouver surchargé et de voir, en conséquence, les derniers membres de l’équipe partir.

Marc Muzard : À l’aune d’une sortie de crise, les collaborateurs sont plus enclins au changement. Même ceux qui n’avaient fondamentalement pas de raison majeure de changer de cabinet ont des envies d’ailleurs. Nous avons surtout accompagné des collaborateurs animés par un souhait d’adhésion à une nouvelle vision, voire un autre modèle managérial.

Par ailleurs, certains cabinets ont été maladroits dans les messages qu’ils ont fait passer pendant la crise. Les conditions de télétravail n’étant pas toujours idéales (en raison d’un isolement ou de la présence familiale), les collaborateurs ont exprimé un besoin d’être remerciés de manière extra-financière sur leur implication pendant les différents confinements. Lorsque cela n’a pas été le cas et que le cabinet a commis des erreurs stratégiques dans la gestion de la crise, les avocats ayant perdu le sentiment d’appartenance à leur structure ont été amenés à considérer de nouveaux projets.

Mélanie Tremblay : Un bon nombre de départs auraient facilement pu être évités si les firmes avaient été un peu plus à l’écoute de leurs collaborateurs. N’oublions pas que la plupart des collaborateurs œuvrant dans une même activité se connaissent bien et ont régulièrement écho des annonces effectuées et de l’ambiance dans les différents cabinets depuis le début la crise sanitaire. Nous entendons régulièrement des talents nous déclarer ne pas vouloir aller dans une structure à cause de sa réputation. Des veto sont mis sur des cabinets qui auraient pu attirer de très beaux profils auparavant. Les besoins et envies ont changé : les collaborateurs souhaitent s’épanouir en cabinet et sont animés par le sentiment d’appartenance à une équipe, le bien-être au travail et l’exercice aux côtés d’un associé à l’écoute ; tout en continuant à s’investir pleinement dans leur activité professionnelle. On est presque en train de réécrire l’histoire et on comprend que les managing partners ont parfois du mal et naviguent presque à vue s’ils ne sont pas accompagnés.

Quid de la rémunération des avocats en 2021 ?

Mélanie Tremblay : Les cabinets sont nécessairement attentifs à ajuster leurs modes de rémunération des associés afin de conserver les talents et de favoriser la performance de la structure. À cet égard, cette année, certains cabinets du magic circle ont commencé à modifier drastiquement leur système de rémunération au niveau global pour le rendre plus attractif et tenter de contrer l’exode des talents pour des raisons financières. À terme, cette modification aura nécessairement un impact sur le marché du recrutement des associés. Par exemple, un associé sous-performant d’un cabinet de ce type qui opérait auparavant sous un système de pur lockstep depuis sa création devra probablement envisager d’autres options si sa firme se teinte vraiment d’un système méritocratique ou eat what you kill. Ce sera très intéressant d’observer les modifications sur la culture de ces cabinets.

Marc Muzard : Concernant les collaborateurs, jusqu’à récemment, les différences de rémunération fixes pratiquées dans les cabinets anglo-saxons et français de premier plan demeuraient relativement faibles. Dans les cabinets large cap, en fonction des séniorités, l’écart était d’environ 5/10K€ par an, avec un écart d’environ 10 K€ annuel entre les structures large cap et mid cap. L’écart de rémunérations était donc moins un élément déterminant dans le changement effectué par les collaborateurs. Ces dernières semaines, en raison du rapprochement trop important entre les rémunérations dans certains types de structures, quelques cabinets large cap ont annoncé avoir augmenté leurs grilles d’au moins 10 %. Nous sommes quotidiennement consultés par nos clients qui envisagent sérieusement suivre ce mouvement.

Mélanie Tremblay : Les cabinets américains ont procédé à une forte augmentation de la rémunération de leurs collaborateurs et ces changements ont été appliqués en Angleterre mais la plupart des bureaux parisiens n’avaient pas suivi le mouvement dans la même mesure. Paris ne fait finalement que rattraper son retard par rapport à des pays comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Soulignons toutefois que la rémunération des collaborateurs doit être rentable par rapport à la facturation. Cela risque d’entrainer davantage de pression sur les volumes horaires et la facturation des collaborateurs. 

Mélanie Tremblay Marc Muzard