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Le tribunal de commerce de Nanterre dresse son rapport d’activité pour 2021

Par Anne Portmann

Le président du tribunal de commerce de Nanterre, Jacques Fineschi, et la vice-présidente chargée du contentieux, Catherine Drevillon, qui présentaient le rapport d’activité de la juridiction pour 2021, ce vendredi 28 janvier, ont répondu aux questions de la LJA.

Votre rapport d’activité constate la baisse des ouvertures de procédures collectives, avec sur ce front, une activité en baisse de 12 % par rapport à 2020 et de 48 % par rapport à 2019. Comment l’expliquez-vous ?

Jacques Fineschi : C’est un phénomène qui n’est pas nouveau et que nous avions déjà constaté en 2020. Il est sans cesse annoncé que « le mur des faillites arrive », mais en réalité, rien n’arrive tant que le gouvernement maintient ses aides. Nous avons aussi eu des cas d’ouvertures de procédure collective où l’on a pu constater que les prêts garantis par l’État (PGE) ont été utilisés à des fins personnelles, et que les sommes prêtées n’avaient pas été injectées dans l’exploitation. En tout état de cause, si le gouvernement annonce l’arrêt des aides, le tribunal se tient prêt pour absorber l’accélération des procédures qui pourrait s’ensuivre. Mais nous ignorons pour le moment quand cela interviendra et dans quelles proportions. Le gouvernement a annoncé des mesures pour étaler le remboursement des PGE de moins de 50 000 €, mais rien n’est encore définitivement décidé pour les montants supérieurs, et le fait que 2022 soit une année d’élection présidentielle joue également un rôle dans l’équation.

Des problèmes peuvent-ils toutefois survenir pour les dirigeants, même s’ils bénéficient d’aides ?

J.F. En effet, lorsqu’une entreprise est confrontée à des pertes d’exploitation, du fait de la crise sanitaire, même si la baisse du besoin en fonds de roulement en raison de la diminution d’activité, génère de la trésorerie et si dans un premier temps tout va bien, parce que l’on obtient des délais de paiement auprès de l’Urssaf et du Fisc ou des PGE à faible taux, les choses peuvent se gâter lorsque les échéances tombent. Car une entreprise dans cette configuration qui retrouve une activité correcte aura des difficultés pour faire face à la fois à la reconstitution du besoin de fonds de roulement, et au remboursement de ses nouvelles échéances, en sus de ses dépenses courantes.

Si globalement le nombre d’ouverture de procédures collectives a diminué, le rapport d’activité relève qu’elles concernent des entreprises plus petites. Comment l’expliquez-vous ?

J.F. Sur les liquidations, il n’y a pas vraiment de changement. Il y a toujours des myriades de sociétés dont l’effectif est d’une à deux personnes qui sont liquidées chaque année et cela relève de la vie organique de notre tissu économique, c’est assez sain.

Les sauvegardes continuent à souffrir de la comparaison avec la procédure de conciliation dont les conditions d’ouverture sont plus souples et qui bénéficient d’une totale confidentialité.

En ce qui concerne les redressements judiciaires, ils ont notamment baissé parce que l’origine de nombre de procédures de RJ est une assignation de l’Urssaf. Dans un premier temps en effet, le dirigeant en difficulté n’arrête pas de payer ses fournisseurs et ses bailleurs, car il ne pourrait plus travailler. Il rogne alors sur les échéances dues au Fisc et à l’Urssaf, qui sont les premiers à connaître les impayés. L’assignation intervient alors à un niveau encore pas trop avancé des difficultés, ce qui facilite l’ouverture d’un redressement plutôt que d’une liquidation. Mais pour l’instant, même si des rumeurs courent sur le fait que l’Urssaf a commencé à réclamer les échéances des moratoires, il n’y a pas d’assignations.

Le contentieux a en revanche augmenté, puisque le tribunal a rendu 34 % de jugements en plus qu’en 2020 et même 16 % de plus qu’en 2019. Les ordonnances de référé sont aussi en augmentation de 2 % par rapport à 2019. Certains contentieux spécifiques sont-ils apparus ?

Catherine Drevillon : Cette augmentation des jugements au fond s’explique notamment par une augmentation des contentieux liés aux demandes d’indemnisation des pertes d’exploitation formées contre les assureurs, mais rien de significatif sinon. Elle s’explique probablement aussi par le fait qu’en 2020, les dirigeants étaient davantage occupés à maintenir leur activité qu’à s’occuper de contentieux. Il peut y avoir eu un phénomène de report sur l’année suivante.

J.F. : Le tribunal de commerce n’avait pas fermé en 2020 et nous avons été les premiers à assurer la continuité de nos activités, notamment en instaurant les audiences virtuelles, mais le problème est venu des justiciables qui étaient souvent indisponibles pour des raisons sanitaires pendant cette année-là et qui manquaient probablement de temps pour se consacrer aux contentieux. Nous l’avons aussi constaté avec les demandes de report des assemblées générales, les experts-comptables ayant manqué de temps pour établir les bilans. Cela traduit une difficulté pour les entreprises de respecter leurs échéances diverses.

Le rapport d’activité fait aussi état d’une enquête qui a été menée pour améliorer le fonctionnement de la chambre des responsabilités et des sanctions, en suite d’une mission qui a été menée par deux juges auprès d’autres juridictions…

J.F. Oui, une réunion finale aura lieu au premier trimestre 2022 pour tirer les enseignements de cette étude. L’idée pourrait être de mettre en place un scoring plus rigoureux des dirigeants, pour distinguer nettement les dirigeants « voyous » qui doivent être définitivement écartés de la vie des affaires, de ceux qui ont tout simplement été malchanceux, qui ne méritent pas d’être sanctionnés aussi durement que les premiers. Pour le reste, c’est-à-dire les dirigeants soit négligents, soit incompétents, on pourrait imaginer un système de sanctions graduées, avec éventuellement des obligations de formation, puisqu’en France, on peut devenir dirigeant d’entreprise du jour au lendemain, sans avoir aucune idée des obligations ou du travail que cela nécessite. Il y a aussi un sujet sur le délai de prescription de trois ans des actions en responsabilité ou en sanctions à l’égard du dirigeant, délai qui est beaucoup trop long et empêche un éventuel rebond.

Avec le travail que vous avez mis en place avec l’association Apesa qui s’occupe de l’état psychologique des dirigeants, le tribunal s’efforce d’être très attentif à l’aspect humain et aux justiciables…

J.F. : C’est en effet la nouvelle direction que j’ai souhaité instaurer dans le tribunal. Je considère qu’il faut en finir avec cette tradition, qui existe dans les pays latins, de mise au ban de la société des dirigeants qui n’ont pas connu le succès dans les affaires. Dans les pays anglo-saxons, on considère au contraire que quelqu’un qui a connu la faillite est plus armé et plus expérimenté pour faire face aux difficultés de la vie des affaires. Cette idée du rebond est aussi dans l’esprit de la directive européenne sur la restructuration et l’insolvabilité, transposée en droit français par ordonnance du 15 septembre 2021. L’Apesa aide, dans un premier temps, à la reconstitution de l’état psychologique du dirigeant, étape préalable indispensable au rebond avec l’aide de diverses associations d’aide aux dirigeants qui peuvent le former et l’accompagner.

Rapport d’activité

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