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Le DoJ annonce qu’il prendra en compte les autres « deals de justice »

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1352 - 28 mai 2018

Dans un discours prononcé devant les avocats new-yorkais, le procureur général adjoint Rod Rosenstein a annoncé, le 9 mai dernier, que le Department of Justice américain (DoJ) recommandait la coordination avec d’autres autorités, locales ou étrangères, dans les négociations aboutissant à la conclusion de « deals de justice » (Non prosecution agreement ou NPA). Le ministère répond ainsi aux critiques internationales qui reprochent l’empilement (ou piling on) des poursuites et des sanctions pour des faits identiques. Le manuel des procureurs américains contiendra ces recommandations, qui guideront les décisions du DoJ. Cette annonce sera-t-elle de nature à apaiser les craintes des praticiens et des entreprises, qui redoutent que l’absence de reconnaissance par les États-Unis rende inutiles les négociations avec d’autres autorités ? L’analyse de Ludovic Malgrain, associé du cabinet White & Case, en charge de l’équipe contentieux pénal et réglementaire à Paris.

Quel est l’intérêt de cette nouvelle recommandation pour les entreprises françaises ?

Cette nouvelle façon de voir est une étape très importante et elle nous parle, à nous avocats, ainsi qu’à nos clients. Je peux donner l’exemple d’un de nos dossiers, concernant une entreprise française, dans lequel une enquête était menée par le DoJ américain, une autre par le Serious Fraud Office britannique, une troisième par le parquet financier français et une autre encore par le régulateur de Hong Kong, sur la même matière, pour des faits qui s’étaient produits en France, car elle impliquait l’interception d’une conversation entre mis en cause français. Nous avons du faire face à des requêtes sur la même matière émanant de plusieurs autorités différentes, suivre 4 à 5 investigations différentes et envisager de négocier avec chacune d’entre elles. C'est très compliqué, car l’une des autorités aurait pu nous opposer que ce que nous avons négocié avec une autre constituerait une forme de reconnaissance des faits. En indiquant que le DoJ devra se coordonner avec d’autres autorités locales et étrangères, un pas très important semble franchi dans le cadre d’une négociation globale, qui est l’objectif poursuivi par les clients.

En quoi ces nouvelles instructions peuvent inciter les entreprises à conclure davantage de « deals de justice » ?

Les entreprises qui ont commis des faits susceptibles de multiples poursuites pourront être rassurées par la volonté des autorités américaines de prendre en compte ce qui se passe ailleurs pour des affaires par essence internationales, comme celles portant sur des faits de corruption. Le procureur général adjoint a précisé que ces instructions concernaient les affaires dans lesquelles il y a eu « the same misconduct », c’est-à-dire le même manquement. La plupart des entreprises, si elles se lancent dans une négociation, ont pour objectif de régler l’affaire de façon globale. Car jusqu’ici, le problème était qu’un accord conclu avec une autorité ne mettait pas les entreprises à l’abri des poursuites d’une autre autorité, ce qui générait des résistances. Évidemment, ces instructions qui incitent à la coordination vont probablement poser des difficultés, notamment concernant la qualité des personnes qui relaient la position des différentes autorités. En outre, il faudra voir, sur le terrain comment le DoJ interprète la notion de « same misconduct », la notion de manquement identique donnant lieu à des poursuites.

Quelle est, selon vous, la portée de ces nouvelles instructions ?

Même si la norme n’est pas contraignante (non-binding) puisqu’elle ne peut pas donner lieu à une quelconque action en justice, comme l’a précisé le procureur général adjoint, il s’agit tout de même d’une étape importante. Il a aussi été souligné qu’en dépit de ces instructions, la négociation avec une autorité américaine autre ou avec une autorité étrangère ne pouvait, en aucun cas, se substituer à celle engagée avec le DoJ. Rod Rosenstein a aussi souligné que les entreprises qui solliciteraient le DoJ après avoir négocié avec d’autres autorités dans le but d’obtenir des pénalités moins lourdes ne seraient pas « vues avec bienveillance ». En d’autres termes, il ne faut pas y voir une invitation au forum shopping pour négocier avec l’autorité qui sera la moins sévère à l’égard des faits qui ont été commis.

Pour jouer le jeu de la coopération avec les autorités étrangères, les Américains ne vont-ils pas exiger la réciprocité ?

Il semble évident que les autorités américaines attendront en retour que les autorités étrangères se coordonnent avec elles, lorsqu’elles seront saisies de faits susceptibles de relever de la compétence territoriale des États-Unis. Cette concertation paraît d’autant plus nécessaire pour la crédibilité du dispositif de la convention judiciaire d’intérêt public, ou CJIP (lorsque celui-ci est applicable) institué par la loi Sapin II. En tout état de cause, il n’existe, en effet pas de principe d’immunité de poursuite opposable par une entreprise française ayant conclu une CJIP à une autorité étrangère décidant de se saisir des faits concernés.

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