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« Le DOJ américain n’a jamais cité à comparaître un avocat américain pour obtenir des informations supplémentaires »

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d’Affaires, N° 1322 du 23/10/2017
Airbus est sous le feu des projecteurs. Deux enquêtes sont actuellement conduites par le SFO et le PNF pour une violation présumée de lois anti-corruption par le groupe. Selon la presse, l’avionneur aurait mandaté trois cabinets internationaux pour suivre ces dossiers : Clifford Chance, Dechert et Hughes Hubbard & Reed. Il assure que, pour le moment, le DOJ américain ne s’est pas saisi. Et pourtant, nombre de journalistes cherchent à démontrer que des fuites outre-atlantiques seraient envisageables par l’intermédiaire de ces avocats. Une atteinte directe à leur intégrité. Pierre Servan-Schreiber, avocat au barreau de Paris et de New York et auteur de Deals de Justice, décrypte pour la LJA les tenants et aboutissants de cette nouvelle saga.

« On a l’impression de ne plus être chez nous ». « On se croirait dans La firme ». Telles sont les réactions des salariés d’Airbus qui dénoncent les pratiques d’investigations mises en œuvre par les cabinets en charge de ces dossiers. De telles réactions sontelles fréquentes ?

Pierre Servan-Schreiber, avocat au barreau de Paris et de New York et auteur de Deals de Justice


Pierre Servan-Schreiber : Sans aucun doute. Et elles sont légitimes. Au stade de l’enquête, l’avocat se substitue aux autorités pour construire un dossier. Il a pour mission d’enquêter pour découvrir l’ensemble des éléments litigieux permettant ensuite de les présenter de façon précise aux autorités concernées. À partir d’un faisceau d’indices, il peut être amené à interroger des salariés et éventuellement à les confronter à leurs contradictions en leur présentant des emails, des sms, un agenda, etc. Dans le cas où il apparaît qu’une personne physique est susceptible d’être mise en cause, il peut recommander au groupe de la faire assister par un avocat. L’objectif est d’obtenir toutes les explications permettant à l’entreprise de coopérer totalement avec les autorités.

Vous conseillez donc à l’entreprise de tout dire aux autorités ?
PSV : C’est certain ! Dans le cadre d’un accord de coopération avec les autorités, il est impératif pour l’entreprise de collaborer à 100 %. La dissimulation ou l’omission de certains éléments aurait des conséquences désastreuses pour celle-ci. Des poursuites pénales contre les personnes concernées seraient ainsi susceptibles d’être prononcées. Quant au montant de l’amende, il pourrait être bien plus substantiel.

L’avocat enquêteur a donc accès à l’ensemble des informations les plus confidentielles de l’entreprise. Certains parlent d’atteinte possible au secret des affaires…
PSV : Je n’y crois pas. L’entreprise négocie avec les autorités le périmètre de l’enquête. L’avocat doit bien sûr à cette occasion s’opposer à la transmission du secret des affaires du groupe. Et lorsqu’une autorité tiers demande à avoir accès à certaines informations, l’entreprise doit s’y opposer et lui recommander de passer par les voies légales c’est-à-dire l’entraide judiciaire ou les conventions bilatérales entre autorités. On peut par exemple imaginer qu’une autorité demande à obtenir le chiffre d’affaires réalisé par le groupe dans un pays durant les trois dernières années. L’avocat doit alors conseiller son client sur l’opportunité de transmettre ces informations, mais la décision finale revient toujours à l’entreprise. Je n’imagine pas un avocat transmettre des informations confidentielles à une autorité sans l’accord de son client. Il risquerait la radiation.

Mais un avocat américain peut être amené à être interrogé par le DOJ américain et dans ce cas, au regard de ses règles déontologiques, il est tenu de révéler l’ensemble des infractions dont il a connaissance.

Est-ce à dire que les cabinets américains ne devraient pas travailler sur ce type de dossier ?
PSV : L’avocat américain ne doit pas être complice de la commission d’un crime ou d’un délit et ne peut pas mentir à un tribunal. Cependant il bénéficie du legal privilege, donc il ne peut pas être interrogé sur ses dossiers. La seule différence avec le système français, c’est que son client peut le relever de ce legal privilege et lui permettre d’exposer ce qu’il sait devant un tribunal. À ma connaissance, le DOJ américain n’a jamais cité à comparaître un avocat américain pour obtenir des informations supplémentaires. J’insiste en effet sur le fait que l’entreprise doit coopérer à 100 % ! Elle ne peut rien cacher et donc son avocat ne peut avoir d’informations non dévoilées.

Quelle est la taille nécessaire des équipes d’avocats pour mener de tels dossiers d’enquête ?
PSV : La collecte des informations doit être automatisée à partir de mots clés. Les méthodes de travail sont analogues à celles des enquêteurs judiciaires ou administratifs. Dès lors une équipe resserrée d’avocats est suffisante, voire peut même être plus efficace. Les cabinets français pourraient donc parfaitement s’imposer sur de tels dossiers. Un seul bémol néanmoins : ce type d’enquêtes présente souvent des ramifications étrangères et impose donc l’utilisation d’un réseau international efficace.
Clifford Chance Airbus LJA1322 SFO PNF Dechert Hughes Hubbard & Reed DOJ américain Pierre Servan-Schreiber