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L’Autorité de la concurrence modifie sa pratique décisionnelle sur la réponse à appel d’offres

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

L’Autorité de la concurrence (ADLC) a rendu le 25 novembre 2020 une décision modifiant sa pratique décisionnelle concernant les réponses à appel d’offres public mises en œuvre par des entreprises appartenant à un même groupe. Explications de Laurent François-Martin, avocat associé du cabinet Fidal.

Pouvez-vous rapidement nous présenter les faits du dossier ?

Dans cette affaire, selon le communiqué de presse de l’ADLC seul disponible pour l’instant, les sociétés Dhumeaux, Mondial Viande Service et Vianov, appartenant au groupe Ovimpex, avaient répondu séparément à un appel d’offres émis par France AgriMer. Les offres, présentées comme distinctes et autonomes, étaient en fait conçues en commun et constituaient selon les services d’instruction, une entente anticoncurrentielle. Alors même que les sociétés en cause avaient signé un procès-verbal de transaction avec les services d’instruction de l’ADLC, le collège de l’Autorité a décidé de rendre une décision de non-lieu pour adapter sa pratique décisionnelle avec l’arrêt C-531/16 « Ecoservice projektai UAB » rendu le 17 mai 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

L’Autorité de la concurrence a donc fait évoluer sa pratique décisionnelle concernant l’application de la notion d’entente aux réponses à appel d’offres public par des filiales appartenant à un même groupe. Quelle était la pratique décisionnelle avant cette décision ?

Il est de jurisprudence constante que le droit de la concurrence français et européen ne trouve pas à s’appliquer dans le cadre de relations entre entreprises appartenant à un même groupe, c’est-à-dire à une même unité économique. Néanmoins, il existait une exception concernant les réponses à appel d’offres, principalement aux appels d’offres publics. Les autorités de concurrence considéraient en effet que, lorsque des entreprises appartenant à un même groupe soumettaient des offres distinctes, elles se mettaient volontairement en situation de concurrence et le droit de la concurrence retrouvait à s’appliquer. Ainsi, dès 2003, Le Conseil de la concurrence avait décidé qu’« il est loisible à des entreprises, ayant entre elles des liens juridiques ou financiers mais disposant d’une autonomie commerciale, de présenter des offres distinctes et concurrentes, à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt de ces offres »1. La cour d’appel de Paris avait confirmé que « lorsque des entreprises appartenant à un même groupe interviennent dans le cadre de procédures de mise en concurrence, le dépôt d’offres distinctes manifeste leur autonomie commerciale ainsi que l’indépendance de ces offres. »2

Quelles sont les modifications apportées par l’Autorité de la concurrence à sa pratique ?

La CJUE rappelle dans son arrêt de 2018 que le droit de l’Union européenne ne prévoit pas d’interdiction générale, pour des entreprises liées entre elles, de présenter des offres dans une procédure de passation de marchés publics. La CJUE exclut également toute obligation pour des entreprises sœurs soumettant des offres séparées de devoir déclarer, de leur propre initiative, leurs liens au pouvoir adjudicateur. À cet égard, il ressort de l’arrêt de la CJUE que l’attention des autorités de la concurrence doit désormais porter, non pas sur la nature et le nombre des offres, mais sur la vérification que les soumissionnaires forment bien une même unité économique. Sur ce fondement, l’ADLC revient à une définition absolue de la notion d’unité économique pour exclure toute exception. Désormais, à partir du moment où l’unité économique sera clairement établie, le droit de la concurrence sera systématiquement exclu pour les relations intra-groupe. En conséquence, des entreprises appartenant à une même unité économique seront désormais libres de répondre ensemble ou séparément à un appel d’offres public et d’échanger des informations sur le contenu de leurs offres respectives.

Il semble cependant que le droit des marchés publics limite cette possibilité. Qu’en est-il ?

En effet, tant l’arrêt de la CJUE de 2008 que la décision France AgriMer de l’ADLC rappellent que les réponses à appel d’offres public restent soumises au droit des marchés publics. À cet égard, l’ADLC rappelle les principes de transparence et d’égalité de traitement figurant à l’article L. 3 du code de la commande publique qui peuvent conduire le pouvoir adjudicateur à « requérir la divulgation par les soumissionnaires des informations relatives aux liens existants entre ces entités (niveau de participation financière, structure décisionnelle etc.) ».

Quels changements de pratiques cette décision emporte-elle pour les groupes français ?

Si le droit de la concurrence ne supporte désormais plus d’exception aux possibilités d’entente intra-groupe, il est néanmoins conseillé aux entreprises répondant à des appels d’offres publics de prendre certaines précautions au regard du droit des marchés publics pour alerter le pouvoir adjudicataire des liens qui peuvent exister entre elles. En revanche, dans le cadre de réponses à appel d’offres privé, il n’y a plus de restrictions aux possibilités d’entente intra-groupe. Ainsi, des entreprises appartenant à un même groupe pourront librement échanger sur les conditions de leurs offres respectives à un appel d’offres privé, sans même avoir à en alerter l’entreprise adjudicatrice. Encore faut-il cependant que leurs réponses respectent les principes généraux du droit civil, notamment le principe de bonne foi et d’information préalable. 

Notes

1. Conseil de la concurrence, décision n° 03-D-01
du 14 janvier 2003 et Conseil de la concurrence, 07-D-11 du 28 mars 2007

2. CA Paris, 28 octobre 2010, Maquet

ADLC Laurent François-Martin Fidal