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Lancement de l’Association française des magistrats pour le droit de l’environnement

Par Anne Portmann

Le samedi 5 juin 2021, qui était aussi la date de la journée mondiale de l’environnement de l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Association française des magistrats pour le droit de l’environnement et le droit de la santé environnementale (AFME) a signé son acte constitutif. Elle rassemble près d’une centaine de magistrats de l’ordre judiciaire, intéressés par les questions environnementales, et entend mener une réflexion juridique sur le sujet, étayée par des faits scientifiques. Interview de son président et fondateur, Jean-Philippe Rivaud.

Quelle est la genèse de l’association ?

Je fais partie des magistrats qui s’intéressent fortement au sujet. J’ai été magistrat de liaison au Brésil, État dans lequel le pouvoir judiciaire est très sensible à ces questions, et j’ai exercé en tant que procureur au parquet général d’Amiens, où en 2009-2010, le procureur général de l’époque avait fortement sensibilisé les magistrats au sujet, notamment par le biais de formations. J’ai eu l’idée, à l’époque, de créer un groupe de discussion sur ces questions entre magistrats. C’était un peu poussif au départ et n’intéressait pas grand monde, puis à partir de 2015, les adhérents sont devenus de plus en plus nombreux. Depuis deux ans, le nombre s’est envolé et le groupe compte aujourd’hui environ 200 magistrats. Nous nous sommes rendu compte que le sujet intéressait tous les étages de la hiérarchie, depuis les auditeurs de justice jusqu’aux hauts magistrats. L’actuel procureur général de Metz, Xavier Tarabeux, qui était auparavant en poste à Toulon, est par exemple un spécialiste des problèmes de pollution maritime. Nombre de jeunes magistrats sont très sensibles à ces questions environnementales. Compte tenu du succès de ce groupe de discussion, nous avons voulu structurer toutes nos réflexions dans le cadre d’une association, car l’information, notamment en ce qui concerne le droit répressif de l’environnement, ne circule pas vraiment. Nous avons été surpris du succès de l’association qui, dès le démarrage, réunit d’ores et déjà une centaine d’adhérents avec la proportion d’un tiers de magistrats du siège et deux tiers de magistrats du parquet. Nous sommes par ailleurs ravis, et nous y tenions, de compter au sein du conseil d’administration des confrères d’Outre-mer, où des problèmes considérables se posent.

Quel est l’objet de l’association ?

La diffusion du droit de l’environnement et de la santé environnementale auprès de nos collègues de l’ordre judiciaire, dans tous les domaines, que ce soit le civil, le commercial, le droit du travail, etc. Ce sujet transverse infuse dans tous les domaines et il faut bien le dire, les pouvoirs publics ne s’y intéressent pas encore. Notre association n’est pas militante, mais plutôt - même si le terme est un peu pompeux - une société savante. Nous avons vocation à échanger, autour de rencontres, de colloques et d’évènements pour faire avancer le traitement de ces questions par la justice. De par nos statuts, outre le conseil d’administration, il existe au sein de l’association un conseil scientifique, qui rassemble des professeurs de droit, des spécialistes des sciences du climat, des virologues, des botanistes, etc. L’association pourra ainsi avoir une réflexion juridique étayée par des avis scientifiques sur des questions telles que les modalités de réparation du préjudice écologique, un peu à l’image de ce qui a lieu pour la réparation du préjudice corporel.

Quels liens comptez-vous tisser avec les autres acteurs du droit de l’environnement ?

Nous sommes d’ores et déjà en lien avec des organismes avec lesquels nous avons conclu des partenariats, comme le Réseau des procureurs européens pour l’environnement, le Forum des juges pour l’environnement de l’UE et des associations de magistrats à l’étranger qui ont un objet similaire. Évidemment, nous travaillerons en lien avec les associations de protection de l’environnement, avec les avocats spécialisés et également avec nos homologues de l’ordre administratif, qui ont un niveau de développement bien plus avancé que nous sur ces questions auxquelles ils se consacrent depuis longtemps. Mais nous avons voulu, dans un premier temps, en rester au stade de l’ordre judiciaire.

Comment la création de l’association a-t-elle été accueillie par les pouvoirs publics ?

Nous avons eu de bons contacts au ministère de l’Écologie et la Chancellerie a naturellement été informée de la création de l’association. Nous avons également informé la première présidente de la Cour de cassation et le procureur général, qui ont accusé réception, rappelant que la Cour avait mis en œuvre un cycle de conférences spécialisées, d’ailleurs de très haut niveau. Nous avons par ailleurs constaté que beaucoup de parquetiers français, chargés de ces questions, se sentaient isolés et ne pouvaient pas échanger sur ces questions environnementales qui, dans la hiérarchie des contentieux, peuvent paraître d’une importance moindre, par rapport à des violences exercées sur des personnes. Mais un trafic de grenouilles ou de tortues peut aussi causer des dommages à bas bruit. Ce n’est certes pas la même temporalité, c’est un enjeu différent, mais il est important.

La justice environnementale commence à prendre de plus en plus d’importance de nos jours…

Oui, on l’a vu très récemment avec la mise en examen de Renault et de PSA pour les émissions de CO2 de leurs véhicules ou encore aux Pays-Bas avec l’affaire Shell (Cf. LJA 1493). Justiciables et magistrats ont pris conscience de l’importance de ces sujets, notamment par le biais des questions liées au réchauffement climatique, mais ces questions ont des répercussions sur beaucoup d’autres dossiers comme la propriété immobilière, le droit commercial, le droit du travail, etc. On voit émerger, dans les juridictions, des pôles environnementaux, dont le fonctionnement n’est pas tout à fait adapté à ces questions transversales. On constate l’apparition de la CJIP en matière environnementale et on a également assisté à la naissance des actions collectives en matière environnementale. Ce type de contentieux devrait considérablement augmenter dans les prochaines années, et les justiciables ont aussi droit à l’accès à la justice environnementale. À cet égard, notons que ces préoccupations sont prégnantes également au sein des entreprises, qui ont compris qu’elles devaient désormais intégrer l’environnement à leur stratégie de développement. Elles ont aussi droit, dans ce domaine, à une sécurité juridique, imposant la spécialisation des magistrats.

Association française des magistrats pour le droit de l’environnement Jean-Philippe Rivaud