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La SEC récompense un lanceur d’alerte, compliance officer

Par Ondine Delaunay

Le 30 mars 2020, la Securities and Exchange Commission (SEC) a annoncé avoir octroyé 450 000 $ à un lanceur d’alerte, par ailleurs compliance officer de l’entreprise sanctionnée. C’est la troisième fois qu’un responsable de la conformité se voit allouer une récompense pour les informations qu’il a fournies au gendarme américain. Un tel système est-il envisageable en France ? Capucine Lanta de Bérard, associée du cabinet Soulez Larivière Avocats, a répondu aux questions de la rédaction.

Aux États-Unis les lanceurs d’alerte sont récompensés financièrement pour les informations qu’ils fournissent à la SEC. Dans quelles conditions ?

Le Dodd-Frank Act, loi votée par le Congrès américain en 2010, autorise la SEC à octroyer une rémunération aux lanceurs d’alerte selon un certain nombre de conditions. Il faut notamment que les informations transmises soient pertinentes et aient permis à l’autorité de recouvrer plus d’un million de dollars. Le lanceur d’alerte reçoit alors entre 10 et 30 % de la somme recouvrée. Cette récompense de la dénonciation peut sembler surprenante dans la culture judiciaire française, car la loi Sapin 2 prévoit clairement que le lanceur d’alerte s’inscrit dans une démarche désintéressée. Si nous n’avons pas encore suffisamment de recul sur le système américain pour savoir s’il permet une meilleure remontée des informations ou au contraire favorise les alertes abusives, il faut tout de même noter que ce sont plus de 500 M$ qui ont été versés, depuis 2012, à 83 lanceurs d’alerte.

Dans ce dossier, c’est un compliance officer qui a été récompensé. Est-ce courant ?

Le système américain n’a pas été conçu pour récompenser les compliance officers compte-tenu de leur situation dans l’entreprise. Leur rôle est avant tout de conseiller celle-ci sur les risques identifiés, de remédier aux difficultés et non de les porter à la connaissance des autorités. Mais force est de reconnaître qu’il y a déjà eu trois dossiers de ce type. Ils ont été assortis d’un certain nombre de conditions. La divulgation à la commission doit d’abord être nécessaire pour éviter que l’entreprise ne cause un préjudice financier important. Ensuite, l’alerte doit avoir été préalablement donnée en interne et il faut, soit que le management de l’entreprise se soit opposé à l’enquête interne, soit qu’il n’ait pas réagi pendant un délai qui est fixé à 120 jours. En l’espèce, le compliance officer s’était d’abord tourné vers l’interne auprès du service compliance de la société et avait subi en retour des mesures de rétorsion. Faute de réaction durant 120 jours, il avait prévenu les autorités puis fourni une assistance significative à l’enquête de la SEC. Le montant de la récompense qui lui a été accordée tient compte de plusieurs critères, au premier rang desquels l’importance et la pertinence des données fournies ainsi que l’assistance aux investigations.

Ces récompenses sont-elles possibles dans d’autres pays ?

Il existe des systèmes de soutien financier en Europe, comme aux Pays-Bas, mais ils ne sont pas comparables à celui qui existe aux États-Unis. Aux Pays-Bas, par exemple, il s’agit d’une aide financière visant à compenser l’éventuelle perte de revenus du lanceur d’alerte. Dans l’esprit américain, cette notion de réparation existe, mais le cœur du dispositif est vraiment la récompense pour l’information transmise.

Qu’en est-il en France ?

La France s’est dotée avec la loi Sapin 2 d’un régime général de protection des lanceurs d’alerte parmi les plus complets d’Europe. Cependant, celui-ci doit encore être amélioré en particulier quant à son champ d’application qui est peu clair et à son régime de protection difficile à mettre en œuvre. Aucune compensation financière n’est prévue pour le lanceur d’alerte. Parmi les raisons de cette réticence, la crainte évidente de provoquer des signalements abusifs, le système générant déjà en lui-même un certain nombre d’alertes non justifiées. Une réflexion avait été menée en 2016 et le législateur avait prévu la possibilité d’une aide financière versée par le Défenseur des droits. La disposition avait cependant été censurée par le Conseil constitutionnel, estimant que cette mission n’entrait pas dans les limites de compétence de cette autorité. L’idée pourrait être relancée, à la faveur des discussions sur la transposition de la directive européenne du 23 octobre 2019.

La directive européenne prend-elle position sur ce point ?

Non, elle laisse le champ libre aux États pour légiférer sur la question des récompenses ou des aides financières. D’ailleurs, elle ne reprend pas le terme de « désintéressement », mais évoque la possibilité d’une « assistance financière et des mesures de soutien ». Je n’imagine pas que la France puisse mettre en place un mécanisme d’incitation financière, mais une aide financière visant à compenser une perte éventuelle de revenus devrait, selon moi, être rediscutée. Sans être systématique, et soumise à des conditions strictes, celle-ci pourrait venir réparer les situations critiques auxquelles font face certains lanceurs d’alerte, dont l’identité est théoriquement protégée mais qui restent dans les faits financièrement exposés (perte d’emploi, poursuites judiciaires). Plusieurs personnalités défendent d’ailleurs l’utilité de la rémunération du lanceur d’alerte, au premier rang desquels Charles Duchaine, directeur de l’Agence française anticorruption.

Capucine Lanta de Bérard Soulez Larivière Avocats Charles Duchaine Agence française anticorruption (AFA)