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« La médiation va bien au-delà d’un simple objectif de soulager les tribunaux »

Par Anne Portmann

En ces temps de crise, les entreprises ont définitivement pris conscience de l’intérêt de la médiation qui apparaît à la fois comme un choix stratégique, économique et juridique. Explications de Jean-Claude Beaujour, avocat, médiateur auprès du Center for effective dispute resolution (CEDR-Londres) et animateur de la Commission Médiation de l’ICC-France.

La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur le succès de la médiation ?

Il est probable que la fermeture des frontières, le confinement sur le territoire national, l’usage maintenant décomplexé des systèmes de communication, ainsi que le ralentissement brutal de notre économie, auront des conséquences notables sur la gestion des litiges. Dans le contexte actuel, les acteurs économiques qui ont les yeux rivés sur la boussole de la relance, voire pour certains qui sont préoccupés par la survie de leur entreprise, ont tout intérêt à favoriser le règlement très rapide de leurs litiges. En effet le besoin de trésorerie exige des solutions de célérité et efficaces et c’est là où la médiation présente un intérêt évident. Enfin, le fait de ne pas pouvoir se rendre facilement dans un tribunal pour plaider, pourrait également inciter à recourir à la médiation.

En quoi la médiation est-elle efficace pour les entreprises ?

Tout d’abord sur le plan commercial, conquérir un marché, notamment à l’international, est un processus long, difficile et coûteux. Prendre le risque de rompre la relation commerciale avec un partenaire représente un coût non négligeable. Lorsque le dialogue est difficile entre partenaires, il est préférable de trouver un tiers facilitateur pour les aider à surmonter la difficulté relationnelle, et ce dans un délai qui sera le plus souvent beaucoup plus rapide que devant un tribunal. C’est le médiateur.

Par ailleurs, les directions juridiques réduisent leurs coûts et doivent anticiper leurs budgets, sans compter qu’un contentieux devant un tribunal mobilise considérablement des équipes juridiques et opérationnelles. Dans un contexte de réduction des coûts, la médiation est donc une solution tout à fait adaptée.

Ensuite, la concurrence entre les acteurs économiques incite les parties à être très attentives à la protection du secret des affaires et au maintien de la confidentialité de leurs informations sensibles. Lors d’un procès ou d’un arbitrage, les parties peuvent être conduites à communiquer au juge, ou à l’arbitre, des informations sensibles, de nature stratégique, commerciale, sociale ou encore touchant à leur R&D. Pour les dirigeants c’est généralement source d’une grande inquiétude, voire de considérations procédurales qui rallongent considérablement l’issue du litige. Cette crainte est bien moindre dans le cas du recours à la médiation dès lors que les parties peuvent choisir ainsi de limiter l’information qui sera partagée entre elles et avec le médiateur.

Dans quelles catégories de dossiers est-il opportun de recourir à la médiation ?

La médiation est souhaitable dans trois catégories de dossiers. Tout d’abord, dans l’hypothèse où il existe un risque de rupture de la relation commerciale, ou encore à l’occasion d’un différend entre associés/dirigeants pouvant mettre en péril l’entreprise ou sa survie. Dans ce cas il est impératif de tout mettre en œuvre pour préserver les intérêts de l’entreprise, voire d’anticiper les impacts sur les salariés dont la maintient dans l’entreprise dépend parfois de l’issue du différend !

Ensuite, une décision judiciaire ou arbitrale ne met pas automatiquement fin au litige. C’est le cas si des obstacles juridiques peuvent retarder ou empêcher l’exécution d’une décision. Par exemple, en cas de contentieux avec une entité publique étrangère, la Convention de Vienne prévoit une immunité de juridiction ou d’exécution. En pareil cas, il est réellement préférable d’obtenir un accord amiable sur plutôt qu’un jugement ou une sentence qui sera, de toute façon, inexécutoire.

Enfin, lorsqu’une entreprise est très dépendante de sa chaîne d’approvisionnement, donc de ses sous-traitants, elle a le plus grand intérêt à maintenir ses relations commerciales avec ses partenaires. C’est notamment le cas dans les secteurs de l’aéronautique et de l’automobile.

Quels conseils donner aux entreprises qui envisageraient la médiation ?

La médiation est avant tout un état d’esprit. Les parties ne doivent pas arriver dans une posture judiciaire, mais avec la volonté de sortir du litige et de trouver une solution satisfaisante pour elles. Une médiation doit se préparer soigneusement, de manière à identifier les points d’exigences et les concessions que l’on peut faire, mais aussi les risques en cas d’échec de la médiation. Il faut également s’assurer de choisir un professionnel de la médiation, soit en ayant recours à une personnalité dont on connaît l’expérience, soit en s’adressant à un centre de médiation. Enfin, les juristes quelle que soit la taille de leur entreprise, ainsi que les opérationnels devraient se former à la médiation, même si ces formations n’ont pas pour objectif de les transformer en médiateurs. En effet la technique de la médiation peut en réalité aider au quotidien les entreprises, au-delà même d’un litige commercial, à trouver des solutions adaptées dans des situations de conflictualité (relations humaines, gestion des équipes…).

La médiation est donc un excellent instrument de management au service de l’entreprise. Il est essentiel que le réflexe médiation soit intégré à tous les niveaux de l’entreprise. C’est encore plus vrai dans un contexte international !

A lire : Table ronde du magazine LJA « Litiges commerciaux : l’avènement des MARC ».

 

Jean-Claude Beaujour Center for effective dispute resolution (CEDR-Londres) Commission Médiation de l’ICC-France