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« La France est le bon élève de l’Europe en termes de représentation des femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées »

Par Ondine Delaunay

Le cabinet Ashurst vient de mener une étude comparative européenne sur l’intégration des femmes dans les instances de gouvernance.

La France, l’Allemagne, le Luxembourg, la Belgique, l’Italie et l’Espagne ont adopté des approches différentes et mis en œuvre des outils distincts pour promouvoir l’égalité des sexes dans la gouvernance des entreprises. Analyse d’Anne Reffay, associée du bureau parisien de la firme.

Pourquoi cette étude ?

J’ai proposé à mes confrères des différents bureaux européens d’Ashurst de mener cette étude sur l’intégration des femmes dans les instances de gouvernance, sujet d’actualité en France puisque nous venons de fêter les dix ans de la loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle, dite loi Copé-Zimmermann. Cette présentation se concentre sur l’égalité des sexes dans les réglementations de gouvernance à travers un benchmark de pays européens sélectionnés : la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg et l’Espagne.

Qu’en avez-vous conclu s’agissant de la France ?

La France est le bon élève de l’Europe en termes de représentation des femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées. En 2010, la proportion de femmes dans les sociétés du CAC 40 et du SBF 120 était de 12,3 %, alors qu’en 2021 elle atteint 46 %. La moyenne européenne est de 36 %. De la même façon, la proportion des sièges occupés par les femmes au sein des conseils des 50 plus grandes sociétés cotées françaises, est de plus de 45 %, tandis que la moyenne des pays membres de l’OCDE est de 26,7 %.

Quelle est la situation dans les autres pays visés par l’enquête ?

Alors que tous les pays de l’Union européenne partagent le principe d’égalité de traitement entre les sexes, ils ont adopté des approches différentes. Ces différences tiennent certainement à des raisons historiques et culturelles.

En Allemagne, le système n’est contraignant que pour les très grandes entreprises (cotées et ayant plus de 2 000 salariés). Dans les autres sociétés cotées et celles avec plus de 500 salariés, les quotas sont fixés par l’entreprise elle-même en fonction de ses possibilités et moyens. Beaucoup de groupes ont voté pour des quotas à 0 %. En Espagne, si la réglementation ne prévoit pas de sanctions, la présence des femmes dans les conseils d’administration des entreprises de l’IBEX-35 a presque doublé au cours de la dernière décennie en atteignant 123 femmes en 2019, contre 66 nommées en 2011. L’Italie impose un quota de 40 % pour chaque sexe dans les organes des sociétés cotées et celles contrôlées par l’État, assorti de sanctions financières sévères pouvant atteindre jusqu’à 1 M€ d’amende. La « loi Quota » de 2011 en Belgique retient aussi une approche impérative et assortie de sanctions, mais applicable uniquement aux sociétés cotées et aux entreprises publiques (et à la loterie nationale). Au contraire, le Luxembourg se contente de guidelines et d’un système de « comply or explain » applicable aux seules sociétés cotées, sans sanction spécifique.

Comment expliquez-vous cette avance française ?

C’est le fruit de dix ans de textes et règlementations de plus en plus contraignantes. Le législateur a imposé des quotas au sein des conseils d’administration, dès la loi Copé-Zimmermann du 27 janvier 2011, amendée par la loi Pacte en 2019. Les textes prévoient notamment un quota de membres de chaque sexe qui ne peut être inférieur à 40 % dans les conseils d’administration et de surveillance. Lorsque le conseil a huit membres ou moins, l’écart entre le nombre d’hommes et de femmes ne peut être supérieur à 2. Cette obligation ne vise néanmoins que les SA et SCA cotées ou de grande taille. La réglementation française prévoit également que toutes les SA doivent veiller à la parité dans le cadre des processus de recrutement des directeurs généraux délégués, mais pas des directeurs généraux. Le système français est donc imparfait. Rappelons en effet que les SAS et les autres SA ne sont pas concernées, or elles représentent un très large pan de l’économie française. C’est pourquoi la soft law a joué un rôle important de relai du législateur. Le Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées a été mis à jour par l’Afep/Medef en 2020 pour placer la diversité au cœur des préoccupations des conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises. De même, des associations professionnelles, comme France Invest, font un lobbying important sur ce thème qui a un impact sur toute la chaine de valeur de l’entreprise. Par ailleurs, les LP’s font depuis quelques années de l’égalité des sexes l’un des critères de sélection de leurs investissements. Cette politique de diversité se répercute ensuite naturellement dans les investissements des GP’S.

Qu’en est-il de la situation dans les comités de direction ?

C’est une des critiques des textes en vigueur. Aucune disposition ne vise les autres organes de gouvernance, tels que les comités exécutifs ou de direction, ou les postes de direction. Or, c’est ici que les décisions stratégiques sont discutées. C’est l’objet d’un projet de loi porté par la députée Marie-Pierre Rixain, voté à l’Assemblée nationale au printemps dernier, et qui prévoit des quotas concernant les cadres dirigeants et les cadres membres des instances dirigeantes (dont ces comités) pour les sociétés comptant plus de 1 000 salariés. On notera aussi des dispositions spécifiques pour Bpifrance visant un quota de 30 % de chaque sexe dans tous ses comités d’investissement. Notons enfin que le projet de loi Rixain impose aux sociétés de gestion de portefeuille de définir un objectif de représentation équilibrée femmes/hommes dans leurs équipes d’investissement et comités d’investissement et de le rendre public dans leur document ESG.

Quelles sont les sanctions prévues en France ?

La nomination d’un membre du conseil d’administration qui ne respecterait par les règles de quota est nulle. La France prévoit également la suspension de la rémunération des membres du conseil jusqu’à la correction de la situation. Une disposition efficace à n’en pas douter ! Et depuis la loi Pacte, la nullité des décisions prises par les conseils d’administration composés irrégulièrement pourrait être demandée. Le projet de loi Rixain, actuellement au Sénat, prévoit, quant à lui, une sanction pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale.