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"J'ai découvert au conseil de l'Ordre un mode de fonctionnement d'un autre âge"

Par LJA - LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Jean-Louis Bessis, candidat au bâtonnat de Paris

 

Jean-Louis Bessis, ancien membre du conseil de l'Ordre au barreau de Paris, se présente à l'élection du bâtonnat. Et c'est à nouveau seul, sans vice-bâtonnier un rôle qu'il entend supprimer s'il est élu , qu'il se lance dans la course. Entretien.

 

Pourquoi vous présentez-vous au bâtonnat ?
Jean-Louis Bessis : La plupart de mes compétiteurs entendent poursuivre et même accélérer une modernisation de la profession pensée principalement en termes de parts de marché à étendre, d’ouverture à de nouvelles activités au profit, le plus souvent, des grandes structures. Je ne partage pas cette vision de la profession.

Membre du conseil de l'Ordre de 2010 à 2012, j’y ai découvert un mode de fonctionnement d’un autre âge ainsi qu'une série de dérives.

 

Membre du conseil de l'Ordre de 2010 à 2012, j’y ai découvert un mode de fonctionnement d’un autre âge, ainsi qu’une série de dérives : indemnités vertigineuses que s’octroient bâtonnier et vice-bâtonnier, nombreuses créations de postes, avantages en nature et décorations distribués à la discrétion du bâtonnier… Le barreau de Paris a plus que jamais besoin d’un bâtonnier libre, indépendant. Impartial. Désintéressé. Et accessible. Un bâtonnier qui prenne mieux en compte la diversité des pratiques, des modes d’exercice, des revenus, des trajectoires des avocats. Et de leurs origines, aussi bien sociales que géographiques.

 

Quelle est votre position sur l'avocat en entreprise et l'avocat domicilié dans l'entreprise ?
J.L. B. : Je trouve étrange qu’une partie de la profession défende farouchement, à juste raison, le secret professionnel face aux tentatives diverses d’en réduire la portée je pense à la directive antiblanchiment  tout en s’apprêtant, d’une autre main, à le démembrer avec l’instauration d’un secret professionnel à deux vitesses ou la création d’une nouvelle profession réglementée.
Dans l'avenir, les avocats quitteront le barreau pour exercer quelques années dans l’entreprise, l’administration, ou des professions connexes, avant d’y revenir. Pour le quitter à nouveau. Ces allers-retours élèvent leur niveau de compétences, en même temps qu’ils enrichissent la profession. C’est d'ailleurs déjà le cas : nombre d’avocats quittent l’exercice libéral pour entrer en entreprise. Et inversement, nombre de juristes d’entreprise en fin de carrière s’inscrivent au barreau beaucoup ayant le CAPA  et rejoignent des cabinets d’avocats comme counsel. J’ai moi-même passé deux ans dans une organisation internationale, comme représentant permanent de la France au sein de l’Organisation mondiale du commerce, où j’ai vécu la montée en puissance de l’Organe de règlement des différends (ORD). J’y ai beaucoup appris. Les régimes de retraite doivent favoriser la mobilité, tant professionnelle que géographique, pour les avocats comme pour l’ensemble des professions.
S’agissant de l’avocat domicilié en entreprise, je trouverais tout à fait admissible que des avocats se domicilient, à titre secondaire, voire même principal, dans des incubateurs ou des espaces de coworking pour se rapprocher de leurs clients. La domiciliation dans une entreprise particulière m’apparaît, en revanche, plus problématique.

La profession d'avocat doit actuellement faire face à l'émergence de nouveaux concurrents sur Internet. Comment aider les cabinets à y faire face ?
J.L. B. : La révolution numérique a jusqu’alors été plutôt bénéfique pour notre profession. Des progrès énormes ont été accomplis dans la numérisation sécurisée des échanges avec les juridictions à travers le RPVA, ou entre avocats via e-barreau.


Au-delà de la sécurité, il convient de repenser la relation avocat-client au travers du numérique


 

La profession n’est pas en pointe quant à l’usage qu’elle fait du numérique dans les relations avec les clients. C’est paradoxal car nos échanges avec nos clients sont plus importants en volume et souvent encore plus confidentiels. Moins d’un cabinet français sur 100 est équipé d’un espace client sécurisé accessible depuis son site. Nous ne pourrons pas durablement continuer d’exposer nos échanges avec les clients au piratage ou aux erreurs de destinataire.
Au-delà de la sécurité, il convient de repenser la relation avocat-client au travers du numérique. La profession s’expose au risque que des nouveaux venus, les fameuses legaltech, comblent ce déficit de proximité numérique avec les clients. En automatisant un certain nombre de prestations comme la rédaction de contrats personnalisés, voire même la résolution de litiges, et ce, pour un tarif fixe, les legaltech risquent de déstabiliser l’équilibre économique fragile de nombreux cabinets.

 


Les legaltech risquent de déstabiliser l’équilibre économique fragile de nombreux cabinets.


 

En même temps, les avocats vont tirer parti des services proposés par les legaltech pour améliorer leur productivité et se positionner sur ce qui constitue leur vraie valeur ajoutée : la « robe » va devoir recourir aux « robots ». Le conseil de l’Ordre a le devoir d’accompagner les cabinets dans la mise en place d’une nouvelle génération d’outils numériques pour leur permettre d’offrir des services juridiques en ligne.
Il faudra également encadrer le développement des legaltech. Pour autant, je m’étonne qu’un de mes compétiteurs propose que l’Ordre devienne « le régulateur des services juridiques en ligne ». C’est oublier un peu vite l’existence du Conseil national des barreaux, qui est ce qu’il est et il faudra bien finir par le réformer  mais qui reste l’instance représentative de la profession tant vis-à-vis des pouvoirs publics que vis-à-vis des autres professions.

 

Certains cabinets commencent à faire de la publicité dans les journaux ou à la télévision. Est-ce un mouvement que vous souhaitez encourager ?
J.L. B. : Certainement pas. Les économistes du CNRS et de l’Université Paris-X Nanterre, mandatés par le Conseil national des barreaux pour réfléchir à l’avenir de la profession et aux conséquences économiques de la libéralisation du marché des services juridiques, portent un jugement sévère sur le recours de la profession à la publicité : « Une dimension importante de la publicité est en effet d’être persuasive et pas seulement informative […]  Elle crée alors une différenciation sans fondement réel entre les produits, permettant de freiner ainsi la concurrence. […]  Autoriser la publicité sous toutes ses formes ne conduira donc pas forcément à accroître la concurrence et à baisser les prix comme le suppose la Commission européenne. (Par ailleurs) la publicité entraîne l’apparition de barrières à l’entrée sur le marché. Les dépenses de publicité forment en effet un coût irrécupérable, qui constitue un obstacle souvent d’une taille suffisante pour dissuader les entrants potentiels sur le marché. Lever toute restriction en matière de publicité peut ainsi créer des barrières à l’entrée »1. Tout est dit.

La 4e directive anti-blanchiment est en cours de transposition en droit français. Ne craignez-vous pas que, dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale et le terrorisme, les pouvoirs publics ne tentent de remettre en cause une nouvelle fois le secret professionnel de l'avocat ?

À titre personnel, j’entends demeurer inflexible sur la question du secret professionnel.

 

J.L. B. : Le risque est identifié. Il est sérieux. Aux côtés du  Conseil national des barreaux, je veillerai à ce que le bâtonnier, chargé de transmettre les informations qu’il a reçues d’un confrère à la cellule de renseignement financier, reste un « filtre protecteur », comme l’avait souhaité la Cour européenne des droits de l'Homme en 2012.  Et non une « passoire ». À titre personnel, j’entends demeurer inflexible sur la question du secret professionnel.


Quel rôle le barreau d'affaires doit-il jouer au sein de l'Ordre ?
J.L. B. : Il y a toute sa place. Rien que sa place.


Monsieur Jean-Louis BESSIS, candidat au Bâtonnat par barreau2paris
(1) Rapport Economix "Les conséquences économiques de la libéralisation du marché des services juridiques", septembre 2008.

 

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