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« Je suis certain que le travail sur l’avocat en entreprise n’a pas été vain »

Par Ondine Delaunay

Moins de deux mois après avoir été évoquée par Éric Dupond-Moretti, la proposition de création d’un statut d’avocat en entreprise a été retirée du projet de loi pour la confiance dans l’institution judicaire. Faut-il en conclure à un échec de plus de l’introduction d’un privilège de confidentialité dans la législation française, pourtant désormais souhaitée par de nombreux acteurs du droit et de l’entreprise ? Réactions de Marc Mossé, président de l’AFJE.

Le serpent de mer de l’introduction en droit français de l’avocat en entreprise a encore une fois été repoussé. Une nouvelle occasion ratée…

Marc Mossé  : Non, au contraire. Certes, la création d’un statut d’avocat salarié en entreprise ne figure pas dans le projet de loi tel que présenté à la presse. Mais le chemin avant l’adoption définitive reste long. Je suis optimiste sur ce qui vient de se passer. Le ministre de la Justice a permis, et il faut saluer sa démarche, que pour la première fois, les parties prenantes se réunissent ensemble à plusieurs reprises à la Chancellerie. Des discussions techniques ont eu lieu place Vendôme, en présence de la Direction des affaires civiles et du Sceau. Elles ont permis d’aborder de nombreux aspects, sans question tabou, et le sujet a considérablement avancé. Les acteurs du droit concernés se sont, pour la première fois officiellement, engagés dans un échange de qualité pour aborder les diverses questions que la confidentialité implique de manière rationnelle et dépassionnée. J’ai pris plaisir à ce dialogue au cœur de la famille du droit. Je suis certain que ce travail n’a pas été vain.

Le garde des Sceaux vous a pourtant reçu, le 4 mars dernier, pour vous avertir qu’il mettait fin aux discussions. Que vous a-t-il dit précisément ?

Marc Mossé  : Lors de cette réunion qui rassemblait les représentants de l’AFJE, du CNB, de la Conférence des bâtonniers, le bâtonnier de Paris, le Cercle Montesquieu, le ministre de la Justice a effectivement constaté que nous n’étions pas parvenus, pour le moment, à trouver une unanimité sur cette réforme. Nous n’étions pas prêts le 4 mars, jour où le texte devait avancer dans le processus gouvernemental. Pour autant, ce n’était pas un rejet d’une idée au service de l’intérêt général, des jeunes générations, de la croissance du marché du droit, de la compétitivité. Je rappelle d’ailleurs que durant la campagne présidentielle de 2017, l’AFJE avait interrogé tous les candidats pour connaître leur position sur la confidentialité des avis des juristes d’entreprise. Emmanuel Macron avait clairement reconnu être en faveur d’une telle évolution. Je ne doute donc pas que ce travail collectif finira par porter ses fruits. Le président de la République pourrait ainsi renouer avec son ambition réformatrice.

Qu’est ce qui a bloqué dans vos discussions ?

Marc Mossé  : Je ne parlerai pas de blocage car, paradoxalement, une forme de consensus s’est, en réalité, dessinée. Pas sur l’avocat en entreprise, c’est exact ; mais sur la vraie question : l’indispensable protection de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise. C’est un objectif d’intérêt général, pas une question de statut. Dès que l’on aborde le sujet par la pente Nord, c’est-à-dire par le statut de l’avocat salarié en entreprise, l’ascension est entravée par des vents contraires. En revanche, quand la question est posée par le versant Sud, à savoir le renforcement du droit au service de l’intérêt général, le soleil pointe. Ainsi, ce qui est apparu très clairement durant nos discussions, et que nous devons retenir, c’est que dans un environnement économique ultra compétitif accompagné par une évolution du droit marquée par un « choc de conformité », nul ne s’oppose à l’urgence de parfaire la place du Droit dans l’entreprise. Cela passe par la nécessaire confidentialité des avis du juriste, salarié de l’entreprise. Le rapport Gauvain a d’ailleurs démontré que le vrai sujet ce n’est pas le statut mais bien la souveraineté économique et la compétitivité des entreprises françaises ; et même une forme de géopolitique du droit. L’enjeu c’est la protection de nos entreprises et aussi l’attractivité du droit français. Je note, au passage, que dans le contexte du Brexit, plus de garanties par le droit ne peuvent qu’être un signe positif au moment où des entreprises s’interrogent sur l’implantation de leur siège. On notera d’ailleurs que l’Espagne, au moment où nous parlons, renforce le statut de l’avocat en entreprise. Vérité en-deçà des Pyrénées… ? À l’inverse, la France s’isolerait davantage encore ? Sérieusement ?

Les autorités de régulation, comme l’Autorité de la concurrence et l’Autorité des marchés financiers, mais aussi le PNF semblent réticents…

Marc Mossé  : J’ai rappelé cette semaine, lors de l’audition de l’AFJE à l’Assemblée nationale par la Mission d’évaluation sur la loi Sapin II, que nous devons aller au bout du processus engagé pour améliorer l’efficacité des programmes de conformité. À cet égard, cette confidentialité des avis permet de renforcer les mécanismes de lutte contre la corruption. Il faut aller au terme de la logique.

Ces autorités mesurent, je pense, que la culture du droit, la prévention des infractions, l’efficacité des programmes anti-corruption passent de plus en plus par le renforcement de la position du juriste au sein de l’entreprise. En partenariat avec l’avocat, le juriste est un acteur de l’État de droit dans l’entreprise. Il est le vecteur clé de l’acculturation au droit des acteurs économiques et leur interlocuteur privilégié. Je reste donc persuadé que c’est l’intérêt des autorités que le droit et ses serviteurs soient encore plus écoutés au sein du monde économique. Qui oserait nier, honnêtement, que la confidentialité des avis est un outil de renforcement de la dynamique de prévention et d’anticipation des risques ?

J’entends la préoccupation plus que légitime des autorités qui ne souhaitent pas être empêchées de remplir leur mission. Soyons clairs : jamais la confidentialité que nous imaginons n’aura vocation à permettre à l’entreprise de créer une quelconque boîte noire… Là encore le droit comparé en a fait la preuve. Cessons de diaboliser l’entreprise et ses salariés ! Arrêtons d’ignorer combien le droit est un outil stratégique de prévention des risques ! Cette réforme doit être considérée comme une avancée pour celles et ceux qui croient à la puissance de l’État de droit.

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