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Enjeux et constats de la politique de l’amiable

Par Ondine Delaunay

Sur initiative du garde des Sceaux, une véritable politique de l’amiable a été instaurée en France depuis environ un an, à travers la création de l’audience de règlement amiable (ARA) et la césure du procès civil. En pratique, ces deux nouveaux mécanismes constituent-ils un véritable changement dans la culture judiciaire ? Quels avantages par rapport aux modes alternatifs de règlement des litiges (MARL) préexistants ? Mathilde Lefranc-Barthe et Jérôme Herbet, associés du cabinet Winston & Strawn et tous deux médiateurs certifiés CMAP/ESCP, font le point.

Quelles ont été vos réactions à l’annonce de cette politique de l’amiable ?

Jérôme Herbet : Je pense que cette annonce du garde des Sceaux a eu le bénéfice de mettre la lumière sur les modes alternatifs de règlement des différends, qui doivent être appréhendés à tous les stades des dossiers et même avant que le contentieux se noue devant le tribunal. Cependant, je ne suis pas certain qu’en pratique, ces deux mécanismes aient changé véritablement les pratiques, dans la mesure où l’ARA et la césure ressemblent à des outils déjà existants.

Mathilde Lefranc-Barthe : Tous les discours positifs sur les modes amiables, vus comme un ensemble, sont pertinents. Même si ces deux modalités les plus récentes ne concernent pas encore les dossiers commerciaux, la communauté des affaires y est néanmoins attentive. Il fut un temps où les vents officiels étaient opposés à ces modes alternatifs de règlement des différends, notamment à la médiation qui était présentée comme allant à l’encontre de l’œuvre de justice.

J’ai donc appréhendé cette annonce de façon très positive et je continue à penser qu’il était nécessaire que le politique s’empare de ce sujet. L’amiable ne pouvait pas demeurer une pratique de quelques praticiens isolés, car les MARL participent de la mise en œuvre de la justice.

Je reste néanmoins interrogative sur l’opportunité d’inventer, ou de reformuler, des techniques amiables déjà existantes, sans tenir compte de la pratique qui s’était développée ces dernières années en France. La césure a été présentée comme étant inspirée d’un modèle québécois, mais à aucun moment il n’a été tenu compte de l’expérience française et notamment de la réalité, particulièrement décevante, de la procédure participative. Il existe une forme de déconnexion entre la Chancellerie et le terrain.

L’ARA ressemble étrangement à de la conciliation, qui était déjà proposée par certains tribunaux de commerce, à Paris, Nanterre et même à Lyon. Il me paraît d’ailleurs curieux qu’elle ne soit mise en place, pour le moment, que devant le tribunal judiciaire. Quant à la césure, si l’idée de scinder le procès et d’en réduire le champ correspond à un réel besoin, les praticiens s’interrogent sur la pratique, notamment s’agissant des recours et des délais d’appel. La procédure me paraît tout de même très complexe.

Jérôme Herbet : En réduisant le champ du litige, je vois poindre le risque que les jugements se cantonnent à des éléments qui relèvent, en réalité, de l’expertise. Je pense notamment au montant du préjudice. Ces procédures, qui ont vocation à permettre la mise en œuvre d’une justice plus efficace, vont-elles vraiment accélérer les délais ?

Avez-vous eu besoin de faire de la pédagogie auprès de vos clients sur l’ARA et la césure ?

Jérôme Herbet : La pédagogie que nous faisons à l’égard de nos clients ne porte pas sur les rouages procéduraux des divers mécanismes de résolution des conflits. Nous les sensibilisons bien sûr sur les modes alternatifs de règlement des différends, en essayant de les emmener vers ces voies extrajudiciaires lorsqu’elles sont adaptées à leur dossier.

Mathilde Lefranc-Barthe : L’effort de pédagogie doit se faire en amont des dossiers, pour conduire les clients à envisager les éventuels conflits auxquels ils pourront faire face. Le prisme des modes amiables permet de réfléchir à un positionnement stratégique par rapport aux préoccupations et aux intérêts de l’entreprise. Ils constituent autant d’outils pour aborder la négociation. Dès lors, la discussion sur ces MARL intervient bien avant l’éventuelle mise en œuvre d’une ARA. C’est l’une des grandes richesses de ces MARL de permettre aux entreprises de s’emparer de la gestion de leur conflit, bien avant qu’un magistrat n’intervienne dans le dossier.

Quelles limites voyez-vous à ces deux nouveaux mécanismes ?

Mathilde Lefranc-Barthe : Certains de nos clients demeurent sceptiques sur l’opportunité que le magistrat reste le maître, au moins en apparence, de la résolution amiable du litige. Pour cette raison, je recommande encore de mettre en place des MARL en dehors du tribunal, notamment avec des médiateurs externes.

Jérôme Herbet : Mathilde et moi sommes des médiateurs certifiés et nous avons une bonne expérience de la pratique tant du droit collaboratif que de la médiation. Par définition le médiateur n’apporte pas de solution. Il est un facilitateur, il aide les parties à accoucher de leur solution. Le juge est dans une posture totalement différente, il est par essence celui qui tranche le litige. Il constitue le recours des parties en cas de contentieux. Il me semble donc contradictoire de vouloir placer le juge dans la posture du médiateur.

Mathilde Lefranc-Barthe : C’est toute la différence entre la médiation et la conciliation. Il y a une forme de confusion, à mon avis très orchestrée, entre ces deux formes de règlement des litiges. La façon dont l’ARA est présentée entretient d’ailleurs une certaine confusion quant au rôle du magistrat. au regard de la façon dont les magistrats présentent le mécanisme. En tant qu’avocats, nous exposons clairement la différence. Il existe d’un côté des mécanismes de médiation avec un tiers neutre, un facilitateur qui n’est pas chargé de dire le droit ni d’imposer quoi que ce soit aux parties, et la conciliation dans laquelle le conciliateur a un rôle bien plus actif. Et selon moi, l’ARA n’est pas autre chose qu’une conciliation.

À quelle étape des dossiers abordez-vous la question des MARL avec vos clients ?

Jérôme Herbet : Le sujet est abordé dès la rédaction du contrat. J’exerce principalement en conseil et, avec l’accord des clients, j’y inscris en effet très souvent une clause de médiation. Bien sûr, la médiation ne s’applique pas nécessairement à tous les types de contrats, ou de litiges. Mais pour les accords qui sont susceptibles de s’inscrire dans une relation de long terme ou qui est structurante pour les parties, la clause de médiation est particulièrement adaptée. C’est une étape rapide et peu coûteuse qui permet d’aboutir à une solution par le haut du désaccord qui s’est noué entre partenaires commerciaux. Elle n’empêche pas de se présenter devant les tribunaux, si elle n’aboutit pas.

Mathilde Lefranc-Barthe : Pour les litiges transnationaux, nous avons la chance à Paris d’avoir des chambres internationales avec des magistrats extrêmement sophistiqués et qui savent gérer des dossiers complexes avec des éléments d’extranéité. Nous avons connu plusieurs expériences qui ont été particulièrement concluantes. J’apprécie le dialogue qui se crée avec les magistrats sur le déroulement de la procédure, sur la façon dont les parties vont plaider, etc. Ces nouvelles chambres participent indéniablement à l’efficacité de la justice.

Les entreprises sont-elles réceptives à introduire une clause de médiation dans les contrats aujourd’hui ?

Jérôme Herbet : Absolument, je le constate dans nombre de mes dossiers. Les directions juridiques sont de plus en plus intéressées par ces clauses, qui sont particulièrement utiles lorsque les parties en présence opèrent dans un univers commun, ou lorsqu’il existe entre elles des relations d’affaires complexes, ou bien encore lorsque l’on est en présence d’un déséquilibre économique qui peut faire craindre à l’une des parties que des ressources conséquentes soient déployées par l’autre en cas de contentieux judiciaire.

Mathilde Lefranc-Barthe : J’ajoute que, bien souvent, les contrats prévoyaient déjà une clause invitant les dirigeants à se rencontrer informellement pour discuter avant l’introduction en justice du dossier. Le souhait de parvenir à un accord amiable préalable est donc, depuis toujours, au cœur des préoccupations des cocontractants. Introduire une clause de médiation institutionnelle est finalement plus sécurisant car elle est encadrée par un règlement de médiation, les parties doivent s’engager à la confidentialité, etc.

Évidemment, on peut avoir recours aux modes amiables quand il n’y a pas de clause de médiation dans le contrat, mais c’est tout de même plus facile quand il y en une. Nous, avocats, nous devons sensibiliser nos clients dès la rédaction du contrat.