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De nouvelles pistes de modernisation du contrôle fiscal

Par Aurélia Granel
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1354 du 16 juillet 2018

Le 12 juillet, Jean-Pierre Lieb, Charles Ménard et Pascal Schiele, associés d’EY Société d’Avocats, ont publié un rapport intitulé « Pour une modernisation du contrôle fiscal : à la recherche de l’équilibre entre efficacité et protection du contribuable ». Revenant sur la dernière décennie de lutte contre la fraude fiscale en France, ce rapport formule également 37 propositions destinées à simplifier les contrôles fiscaux. Éclairage de Pascal Schiele.

Quel est le bilan de la décennie en matière de lutte contre la fraude fiscale ?

La décennie 2008-2018 est marquée par une forte dynamique législative en matière de lutte contre la fraude fiscale, avec un renforcement des moyens d’enquête et de l’arsenal répressif de l’administration. Les sources d’informations se sont multipliées, à travers les échanges automatiques entre les administrations fiscales des différents États et les obligations de communication qui pèsent sur les contribuables. Par exemple, la mise en place de la déclaration européenne de services en matière de TVA. Le recours à l’outil informatique s’est également généralisé.

Depuis le début de l’année 2017, dans le cadre de procédures de vérification de comptabilité, une nouvelle forme de contrôle fiscal à distance pour les comptabilités informatisées est, par exemple, venue s’ajouter aux contrôles sur pièces classiques. La décennie passée acte, enfin, une pénalisation accrue de la matière fiscale, avec la création du délit de fraude fiscale aggravée et du parquet national financier. Même s’il est légitime, le renforcement des moyens de l’administration ne s’est pas traduit symétriquement par une modernisation des règles de procédure. La réglementation tendant à préserver les droits des contribuables n’a, en effet, pas significativement évolué. Sur les 103 mesures de procédure fiscale votées depuis 2008, seules 13 % ont renforcé les droits des contribuables. Parmi elles, les procédures permettant au contribuable de contester, d’une part, les visites et saisies et, d’autre part, le refus d’un rescrit qu’il a sollicité.

Ce déséquilibre législatif en faveur de l’administration a-t-il eu un impact sur les contrôles fiscaux ?

En raison d’une information publique parcellaire des données chiffrées, l’appréciation des répercussions de ce déséquilibre législatif, sur le contrôle fiscal, s’avère impossible. Il semble cependant ressortir des données disponibles que l’effectif affecté au contrôle fiscal est resté stable ; le montant des droits et pénalités réclamés a augmenté d’environ 18 % en euros constants sur la décennie ; les perquisitions ont diminué et se concentrent désormais sur les grands groupes ; le taux de recouvrement de l’impôt postérieur au contrôle est resté stable, c’est-à-dire, plutôt faible. Renforcer de manière continue l’arsenal de contrôle de l’administration, sans pouvoir mesurer de manière effective les effets de ces instruments sur la lutte contre la fraude, est inefficace. Il est donc primordial d’instaurer une mesure qualitative de l’action des services de contrôle, afin d’obtenir une appréciation juste et objective.

Quelles sont les réformes les plus urgentes ?

L’étude présente 37 propositions de réformes destinées à moderniser le contrôle fiscal, à rendre l’action de l’administration plus transparente et à équilibrer davantage les relations entre l’administration et les contribuables.

L’une des mesures phares consiste à élargir le champ d’application de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales (LPF) au contentieux fiscal pénal. Cet article institue, au profit des contribuables, une garantie contre les changements d’interprétation formelle des textes fiscaux par l’administration. Élargir son champ permettrait d’invoquer cet article devant le juge répressif. Ainsi, lors d’un contentieux pénal sur une fraude fiscale, le contribuable ne pourrait plus être condamné au pénal alors que le juge administratif a jugé de l’absence de fraude fiscale. Nous proposons également de modifier les modalités d’interruption des délais de prescription. Rappelons qu’aux termes de l’article L. 189 du LPF, la prescription est interrompue par la notification d’une proposition de rectification de l’administration à la suite d’un contrôle fiscal. Cette interruption fait, dans tous les cas, courir un nouveau délai de même durée que le premier, rendant souvent les impositions concernées quasi imprescriptibles en pratique. Si le délai de prescription de droit commun est de trois ans, il est par exemple de dix ans en matière d’activité occulte. Rien ne justifie un tel régime, puisque les redressements ayant été notifiés, l’administration n’a nullement besoin de cette durée de dix ans pour les mettre en recouvrement. Sans toucher au délai de prescription initial, il est proposé que l’interruption du délai de reprise ait désormais pour effet de faire courir, en matière d’impositions principales, un nouveau délai de trois ans pendant lequel les redressements concernés pourraient être mis en recouvrement. Enfin, une modification de la procédure devant la CIF est envisagée. Actuellement, en cas de fraude fiscale, des poursuites pénales ne peuvent être engagées par le ministère public que sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales (CIF). Pour renforcer le principe du contradictoire, il est primordial que le rapport de saisine de la CIF soit désormais communiqué au contribuable. Ce dernier est, en effet, informé de la saisine par un courrier de la CIF qui synthétise les griefs formulés par l’administration, sans que cette saisine figure en annexe. L’instauration d’une procédure orale devant la CIF et l’extension de sa compétence au délit de blanchiment de fraude fiscale sont également souhaitées. Nous espérons que ces propositions soient entendues et prises en compte dans la loi de finances rectificative pour 2018. 

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