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Coronavirus et droit des contrats

Par Aurélia Granel

Le ministre de l’Économie Bruno le Maire a annoncé il y a quelques jours que le coronavirus devait être considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises, en particulier au regard des marchés publics. Quid des contrats privés ? Julia Heinich, Agrégée des Facultés de droit et Professeur à l’université de Bourgogne, revient sur les effets du coronavirus en droit des contrats.

Le coronavirus est-il un cas de force majeure ?

Le coronavirus et plus largement tous les événements engendrés par la pandémie (maladie mais aussi mesures de police administrative, conséquences économiques, etc.) ne peuvent être considérés automatiquement comme cas de force majeure, contrairement à ce qui a pu être affirmé. En réalité, aucun événement ne peut être considéré en lui-même comme un cas de force majeure. Il s’agit d’une notion légale, prévue par l’article 1218 du Code civil, qui implique l’existence de conditions précises dont la réunion doit être vérifiée par le juge1. Il faut donc raisonner au cas par cas. On peut tout de même donner quelques pistes aux contractants souhaitant se prévaloir de cette notion pour se libérer de leurs obligations et obtenir la suspension ou la résolution du contrat.

Si le débiteur d’une prestation est contaminé par le Covid-19 et que cela l’empêche de s’exécuter, il devrait pouvoir se prévaloir du caractère de force majeure de la maladie si le contrat a été conclu avant son diagnostic2.

De même, si le débiteur est une entreprise qui se trouve désorganisée par la maladie de certains salariés ou leur confinement, et que cette désorganisation l’empêche d’exécuter des contrats conclus avant ces événements, la force majeure devrait le plus souvent être invocable pour justifier une inexécution, totale ou partielle, ou un retard dans l’exécution.

Enfin, si l’exécution est rendue impossible en raison de mesures de police administrative prises par le gouvernement français (le dernier à ce jour étant l’arrêté du 15 mars 2020, JO 16 mars 2020, texte n° 2) ou par des étrangers (par exemple l’interdiction d’entrée sur le territoire américain des ressortissants européens), la force majeure devrait aussi être invocable (il s’agira plus précisément d’un fait du prince, mais avec des effets identiques). Attention cependant : la victime de la force majeure n’est plus tenue d’exécuter le contrat et n’engage pas sa responsabilité contractuelle pour inexécution, mais elle doit rembourser à son cocontractant les éventuelles sommes versées (avances, arrhes) pour la prestation dont il ne bénéficiera pas (ou pour la partie qui n’a pas été effectuée).

Cependant, dans toutes ces hypothèses, tout dépendra de l’appréciation du juge et des prévisions contractuelles, la notion et les effets de la force majeure étant supplétifs.

Le contractant qui ne peut bénéficier de la prestation qui lui était due en raison de l’épidémie peut-il invoquer la force majeure ?

En principe, non. La force majeure a seulement pour objet de libérer le débiteur d’une obligation dont l’exécution est devenue impossible, et non le créancier d’une obligation dont il ne peut pas bénéficier. En somme, si le débiteur de la prestation principale peut toujours l’exécuter, son cocontractant doit en principe payer le prix convenu.

Ce principe pourra être écarté dans certaines situations. D’abord, en présence d’une disposition légale contraire. Par exemple, l’article L. 211-14, II du Code du tourisme permet à celui qui a réservé un séjour via une agence de voyages de résoudre le contrat avant le début du voyage sans frais si des circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution du contrat ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination. La plupart des voyages programmés durant la période actuelle à partir de la France pourraient ainsi être concernés. Ensuite, des clauses peuvent prévoir une résolution du contrat sans frais lorsque le créancier ne peut bénéficier de la prestation. Enfin, des assurances peuvent permettre des remboursements si le contrat le prévoit. D’autres arguments de droit pourraient être avancés, comme l’invocation de la caducité du contrat pour disparition d’un élément essentiel, mais leur application à ce type d’événements est incertaine.

Est-il possible de demander une résiliation ou une révision des conditions des contrats pour tenir compte des difficultés résultant de la crise actuelle ?

Oui, sur le fondement de l’article 1195 du Code civil qui prévoit, dans certaines circonstances, la possibilité de demander à son cocontractant une renégociation du contrat en cours d’exécution. À défaut, le juge pourra lui-même réviser le contrat ou y mettre fin. Cependant le texte prévoit des conditions précises et très restrictives qui rendront son application délicate : il faut un changement imprévisible au moment de la formation du contrat, qui rend son exécution excessivement onéreuse pour une partie. Enfin, il faut que les parties n’aient pas contractuellement exclu l’application de cet article, qui est supplétif.

En dehors de cette hypothèse, les entreprises connaissant des difficultés financières en raison de la crise économique entraînée par l’épidémie doivent penser aux procédures préventives que sont la conciliation et le mandat ad hoc. Elles peuvent permettre de renégocier avec ses créanciers les délais, voire les montants des créances, ou encore le contenu des contrats.

Les autorités ont déjà fait un premier pas en ce sens. D’une part en affirmant que dans les marchés publics, aucune pénalité ne serait réclamée en cas de retard dans l’exécution dû à la crise du coronavirus, et d’autre part en accordant des délais de paiement pour les impôts et charges des entreprises.

Enfin, certaines clauses permettent aux parties de mettre fin au contrat ou de le réviser dans des circonstances telles que celles de la crise actuelle : clauses de renégociation, de rencontre, de révision par un tiers expert, clauses MAC (material adverse change, fréquentes dans les cessions de droits sociaux et de financement), etc. Tout dépendra néanmoins de leur rédaction. Une attention particulière doit donc être portée à leur négociation (et renégociation lorsque c’est possible) pour tenir compte de la survenance d’événements tels que celui qui nous affecte aujourd’hui.

Notes

(1) Même un arrêté de catastrophe naturelle ne lie pas le juge pour qualifier la force majeure : Cass. civ. 3e, 10 déc. 2014, n° 12-26.361.

(2) On trouve plusieurs exemples d’une telle solution dans la jurisprudence, à propos d’autres maladies : Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168.

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