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Concentration : intérêt à agir du CSE de la cible

Par Ondine Delaunay

Dans un arrêt du 9  mars 2021, le Conseil d’État a jugé que le CSE de l’UES de la société Mondadori France justifiait d’un intérêt à agir contre la décision de l’Autorité de la concurrence autorisant la prise de contrôle de Mondadori par la société Reworld Media. Analyse de la décision par Isabelle de Silva, présidente de l’Autorité de la concurrence.

Quel est le contexte de l’arrêt rendu par le Conseil d’État ?

Le 29 mai 2019, la société Reworld Media a notifié à l’Autorité de la concurrence son projet de prise de contrôle de la société Mondadori France. Au cours de l’instruction du dossier, le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre, saisi par le Comité social et économique (CSE) de la société Mondadori France, a enjoint sous astreinte, par jugement du 11 juillet 2019, aux sociétés Mondadori Magazines France et Éditions Mondadori Axel Springer d’ouvrir, sur le fondement des dispositions de l’article L. 2312-24 du Code du travail, la consultation annuelle sur les orientations stratégiques pour 2019 de l’entreprise avant « toute saisine régulière » de l’Autorité.

Cette dernière, à qui ce jugement avait été transmis par le CSE, a estimé que sa procédure d’examen devait se poursuivre. En effet, selon l’article L. 430-3 du Code de commerce, c’est à l’acquéreur et non à la cible, Mondadori en l’espèce, de notifier l’opération envisagée. Conformément à l’article L. 430-5 de ce Code, dès que l’Autorité est saisie d’un projet de notification complet, elle est tenue d’autoriser l’opération ou d’engager une procédure d’examen approfondi dans un délai de 25 jours, susceptible d’être prolongé en cas d’engagements. Le contenu du dossier de notification, fixé à l’article R. 430-2 du Code, ne prévoit pas que la partie notifiante s’assure de la consultation des institutions représentatives du personnel de la cible. Aussi, et en dépit du jugement du TGI de Nanterre précité, l’Autorité a estimé qu’elle avait été saisie d’un dossier de notification complet par la société Reworld Media, le 29 mai 2019, et qu’elle était tenue de prendre une décision dans les délais prévus. Elle a ensuite autorisé l’opération, sous réserve d’un engagement, le 24 juillet 2019. Le CSE a demandé l’annulation de cette décision et, concomitamment, sollicité du juge des référés sa suspension. Dans ses écritures, l’Autorité avait notamment contesté la recevabilité du CSE, estimant qu’il ne justifiait pas d’un intérêt à agir. Le juge des référés a rejeté la demande sans se prononcer au préalable sur la recevabilité de la requête du CSE. Par la décision du 9 mars 2021, la Section du contentieux du Conseil d’État a, pour sa part, admis la recevabilité de la requête au fond du CSE, pour la rejeter au fond.

Quel est le raisonnement du Conseil d’État s’agissant de la recevabilité ?

L’Autorité avait soutenu que le CSE ne justifiait pas d’intérêt à agir contre la décision, dans la mesure où il n’était ni fournisseur, ni concurrent, ni client des parties à l’opération. Des décisions précédentes du Conseil d’État avaient retenu une approche restrictive de l’intérêt à agir contre les décisions prises en matière de concentration économique, rejetant par exemple comme irrecevable le recours du bailleur d’un magasin appartenant à une société prenant le contrôle exclusif d’une autre, au motif que ce bailleur « n’exerçait son activité sur aucun des marchés concernés par l’opération de concentration entre Fnac et Darty». Toutefois, le Conseil d’État a retenu la recevabilité du CSE de la cible en se fondant, d’une part, sur les missions spéciales que lui a confiées le législateur (les dispositions de l’article L. 2312-8 du Code du travail confient aux CSE le soin d’exprimer les intérêts des salariés dans les décisions relatives à l’évolution économique et financière de leur entreprise) et, d’autre part, sur les effets de la décision. Le Conseil d’État relève que la décision « autorise la prise de contrôle exclusif de la société Mondadori par la société Reworld Media ». On peut donc imaginer, comme le suggéraient les conclusions du rapporteur public Laurent Cytermann que, dans d’autres hypothèses (constitution d’une joint-venture par exemple), la solution de recevabilité pourrait être différente.

L’arrêt tranche par ailleurs des points importants s’agissant de la légalité interne…

Le Conseil d’État, après avoir écarté comme manquant en fait les moyens relatifs au test de marché, a examiné si l’Autorité avait entaché sa décision d’illégalité au vu du jugement du TGI précité ayant enjoint aux sociétés Mondadori d’ouvrir une consultation sur le fondement du droit du travail « avant toute remise valable d’un avis du CSE et toute saisine régulière » des autorités de concurrence. Le Conseil d’État a écarté le moyen, en tout état de cause, en relevant, que le jugement ne formulait d’injonction qu’à l’égard des sociétés de l’UES Mondadori, alors que ce n’était pas sur ces dernières que pesait l’obligation de notification prévue à l’article L. 430-3 du Code de commerce.

Le Conseil d’État juge par ailleurs « qu’aucune disposition du Code du travail ou du Code de commerce n’impose à l’Autorité […] de s’assurer, préalablement à l’édiction de sa décision, que les dispositions relatives à l’information et à la consultation du comité social et économique ont été respectées par l’entreprise concernée ». Ce point est important, car il en résulte que l’Autorité est tenue d’exercer son office au regard des seules dispositions du Code de commerce et non en incorporant des règles qui découleraient du Code du travail. Le Conseil d’État écarte par ailleurs le moyen selon lequel la décision aurait méconnu par elle-même les dispositions de l’article L. 2317-1 du Code du travail définissant le délit d’entrave (au motif que les sociétés Mondadori auraient commis ce délit), refusant ce faisant de transposer la jurisprudence d’Assemblée « Sté Lambda » (CE Ass. 6 décembre 1996 p. 466).

Quelles conséquences pour les entreprises ?

Du point de vue des entreprises, la solution est heureuse, à un double titre : elle évite, d’une part, de rendre plus complexe les processus de notification en y ajoutant des obligations supplémentaires liées au respect, par la cible, de ses obligations au titre du droit du travail. Et elle évite, d’autre part, de fragiliser les décisions d’autorisation de concentration en faisant peser sur elles un risque contentieux qui ne pourrait être maîtrisé par l’acquéreur, s’agissant d’obligations qui pèsent sur la cible.

Autorité de la concurrence Mondadori France Reworld Media