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« C’est notre devoir de législateur de favoriser le recours à la justice négociée »

Par Jeanne Disset

En exclusivité, Raphael Gauvain, co-rapporteur de la mission d’information de la commission des lois sur la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », a répondu aux questions de la LJA.

Cinq mois de travail et 50 propositions, quel travail ! quelle était votre ambition ?

Même si cette loi Sapin 2 est une réussite, très soutenue par les milieux économiques, il nous est apparu nécessaire de relancer la lutte contre la corruption. Il faut être ambitieux, construire un plan plus détaillé, clarifier les rôles et favoriser la justice négociée. Malgré le rattrapage que cette loi a permis, la France est encore très haut dans le classement Transparency International. Nous sommes au même niveau qu’en 2015. Le Greco est encore très critique sur le lobbying, les moyens du PNF ainsi que sur la probité des agents publics et l’OCDE mène une enquête en ce moment en matière d’anticorruption qui sera très sévère. La sphère publique manque également d’un véritable référentiel anticorruption et même d’une culture de l’anticorruption. Enfin, notons que l’affaire Bolloré est apparue dans les auditions comme un risque de ralentir, voire de bloquer,  les processus de justice négociée. Or la CJIP est un bon outil qu’il faut préserver.

Justement, la CJIP est un réel succès, pourquoi y revenir ?

C’est un dispositif utile, rapide, efficace et particulièrement adapté à ces questions. La CJIP est indéniablement un succès. Son champ a déjà été étendu à la fraude fiscale et en matière environnementale. Mais il existe des risques d’épuisement de cette voie. Nous devons favoriser le recours à la CJIP, la rendre toujours plus attractive pour les entreprises. Et même, plus largement, nous devons, en tant que législateurs, favoriser le recours à la justice négociée. Et donc améliorer, non seulement la CJIP, mais aussi l’enquête interne en la rendant mieux structurée avec des garanties pour les personnes physiques ; ensuite encourager les personnes morales à l’auto dénonciation, ce qui permet de renforcer l’intérêt de la CJIP ; et enfin régler la question des personnes physiques lors d’une CJIP (qui, elle ne concerne que la personne morale) avec une CRPC spéciale s’appuyant sur la collaboration des personnes physiques et morales et sur la reconnaissance des faits avec contrôle du juge.

Quel véhicule législatif pourrait être utilisé ?

La directive européenne n° 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur les lanceurs d’alerte doit être transposée avant la fin de l’année, sans doute avec une proposition de loi, et évidemment en co-construction avec le gouvernement. Je travaille d’ailleurs à cette transposition avec mon collègue Sylvain Waserman. L’essentiel des propositions de ce rapport d’évaluation sur les lanceurs d’alerte découlent de la directive. Nous pourrions profiter de ce texte pour y intégrer, non pas les 50 recommandations, mais les points les plus importants et les ajustements concrets directement applicables. La réorganisation institutionnelle entre HATVP et AFA est, avec le renforcement de la lutte anticorruption dans la sphère publique, les mesures les plus importantes à faire acter. Il faut clarifier le statut hybride de l’AFA qui n’est plus tenable.

Ces questions de l’amélioration de l’action publique, de réforme de l’État et de probité sont très importantes pour moi, et étaient au cœur de notre projet de 2017. Nous devrions donc trouver du consensus avec le gouvernement et avec les praticiens. Sauf peut-être, avec ces derniers, sur la confidentialité des avis (NDLR : proposition n° 28) : le sujet de l’avocat en entreprise comme le legal privilege pour les juristes ne me semble pas encore assez mûr. Il faut encore privilégier le dialogue et la concertation, même si l’urgence est là.