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« Cette loi va permettre de pallier l’absence de toute définition générique du secret des affaires »

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1348 du 30 avril 2018

Le secret des affaires est un serpent de mer… À cinq reprises depuis 2004, la France a échoué à se doter d'une telle législation. Mais une directive a été largement votée au Parlement européen en 2016 et sa transposition doit avoir lieu avant le 9 juin 2018 ! Une loi de transposition est actuellement en discussion (d’ores et déjà votée par l’Assemblée le 29 mars et par le Sénat le 18 avril) et la procédure accélérée est engagée. Le secret des affaires est en passe d’être enfin finalisé. Entretien avec Raphaël Gauvain, le député LREM qui a déposé la proposition de loi et qui en est le rapporteur.

Le droit français contient 151 références au « secret des affaires » ou « secret d’affaires » dans les différents codes, lois et règlements en vigueur. Quel sera l’apport de cette loi ?

La directive vise à harmoniser les règles applicables et donc à offrir aux entreprises une réglementation unique et cohérente pour mieux protéger contre les vols et les utilisations indélicates de leurs savoir-faire et de leurs informations commerciales confidentielles. Cette loi va permettre de pallier l’absence de toute définition générique. Plus généralement, il s'agit de protéger nos entreprises contre l'espionnage économique, le pillage industriel ou la concurrence déloyale.

Vous évoquez des informations commerciales. Or le Sénat a souhaité étendre le périmètre en parlant d’informations économiques…

Le Sénat, comme nous les députés, avons les mêmes motivations. Nous sommes soucieux de bien couvrir toutes sortes d’informations constituant un élément de l’actif de l’entreprise. La notion de « valeur économique » nous a semblé trop large. Se posait toutefois la question des startups ou des entreprises innovantes : comment protéger leurs idées, leur début d’activités, leurs projets de développement, leurs études marketing, etc. ? Des données qui n’ont pas forcément immédiatement une valeur commerciale mais qui sont cruciales pour l’entreprise. Aussi, nous avons opté pour une valeur « commerciale effective ou potentielle ». Nous allons sans doute discuter de ce choix avec le Sénat entre les notions « commerciale » ou « économique » lors de la Commission Mixte Paritaire, prévue le 18 mai.

Un accord sur le texte entre les deux assemblées est possible ?

Sans doute, il s’agit d’un texte qui dépasse largement les clivages politiques. La directive a été négociée sous la présidence de François Hollande et votée à plus de 80% des députés européens, soit la totalité des partis de gouvernement. Il existe cependant deux points de divergence avec les sénateurs sur lesquels la majorité à l’Assemblée est très attachée : l’amende civile en faveur des journalistes pour combattre les « procédures baillons », et le refus de l’instauration d’un nouveau délit pénal.

Revenons sur le délit pénal. Pourquoi ce refus ?

D’abord, il faut se souvenir que si nous n’avons jamais abouti sur le secret des affaires, c’est à chaque fois parce que la voie pénale avait été privilégiée. Remettre du pénal dans la vie des affaires ne nous semble pas très productif, surtout actuellement. La création d'un délit pénal d’espionnage économique, dénommé « détournement d’information économique protégée », a profondément heurté les journalistes, des associations... Ensuite, la voie civile est plus efficace, plus rapide, à l’initiative de l’entreprise qui a la charge de la preuve.

En tout état de cause, cela ne ferme la possibilité de recourir au pénal si l’atteinte est importante. Il existe déjà dans le droit commun de nombreuses infractions dont les entreprises peuvent se saisir : vol, recel, ABS, introduction frauduleuse dans un système informatique…

Et, l’amende civile ?

L’amende civile est une réponse à un vrai problème : les « procédures baillons », procédures abusives contre des journalistes ou des lanceurs d’alerte voire des professeurs ou des chercheurs. L’amende civile permet de sanctionner ces abus, procédure abusive et dilatoire, et nous l’espérons, elle agira de façon préventive. Il est nécessaire de donner au juge les moyens de sanctionner efficacement ces tentatives de déstabilisation ou de pression. L’amende serait de 60.000€ ou 20 % de la demande initiale de dommages intérêts. Récemment, un recours contre France télévision d’une entreprise portait une demande de 50M€ de dommages et intérêts. L’amende civile encourue dans ce cas serait de 10M€ en cas de procédure dilatoire ou abusive.




(1) Directive 2016/943 du 8 juin 2016 sur « la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites »

Secret des affaires LJA1348 Raphaël Gauvain LREM