Interview - La réduction du champ du secret peut-elle affecter la conformité des entreprises ?
Aux termes d’un arrêt du 30 septembre 2025, la chambre criminelle a précisé encore davantage le périmètre des correspondances avocat-client couvertes par le secret et insaisissables. Un rétrécissement du champ d’application de la protection qui pourrait rendre les entreprises rétives à consulter leur avocat en matière de conformité aux règles de concurrence, selon Fréderic Puel, avocat associé au sein du cabinet Fidal.
Quelles étaient les circonstances
de cet arrêt ?
Il s’agissait d’un dossier relatif à des faits de favoritisme, de détournement de fonds publics et de recel, qui avaient donné lieu à une perquisition auprès d’un syndicat mixte exploitant d’un aéroport. Le directeur s’était opposé à la saisie de documents estimant qu’ils relevaient de l’exercice des droits de la défense et qu’ils étaient en conséquence couverts par le secret prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Il s’agissait de consultations juridiques, sollicitées par le syndicat auprès de son avocat et qui orientaient vers des schémas contractuels particuliers afin de prévenir tout risque de contentieux, notamment pénal. La chambre criminelle a considéré que ces éléments ne relevaient pas du champ de l’exercice des droits de la défense.
Quelles sont les précisions apportées par cet arrêt ?
Rappelons que la chambre criminelle de la Cour de cassation limitait déjà le secret et l’insaisissabilité aux seules correspondances avocat-client qui relevaient des droits de la défense, sans pour autant préciser clairement le périmètre de cette notion. Dans cet arrêt, la chambre criminelle vient expliciter cette notion en indiquant que les correspondances sont relatives aux droits de la défense « lorsque la personne qui prend conseil s’attend à être prochainement poursuivie ou, sachant avoir commis une infraction pénale, prépare sa défense. » (§27). Elle ajoute que « la simple volonté du client de sécuriser une situation juridique avec le concours d’un avocat ne confère pas un caractère absolu au secret d’une consultation » (§28).
Quelle analyse critique peut-on faire de cet arrêt ?
La position de la chambre criminelle apparaît, en l’état actuel de la jurisprudence, assez singulière. Les chambres civiles comme la chambre commerciale estiment, quant à elles, que l’article 66-5 de la loi de 1971 protège la confidentialité des correspondances avocat-client « en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense ». Il faut relever ensuite la position de la Cour de Justice de l’Union européenne selon laquelle l’article 8 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme « accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients … (qui) recouvre non seulement l’activité de défense, mais également la consultation juridique ». Elle ajoute que « l’article 7 de la Charte (des droits fondamentaux) garantit nécessairement le secret de cette consultation juridique » (CJUE 26 sept 2024, aff. C-432/23 et CJUE 8 décembre 2022, aff. C-694/20). On peut s’interroger sur la pertinence de restreindre cette interprétation aux seules affaires européennes en invoquant l’autonomie procédurale, car la directive ECN+ de 2018 (article 3.1.) prévoit que les autorités nationales de concurrence doivent respecter la Charte des droits fondamentaux dans les procédures d’infraction aux articles 101 ou 102 du TFUE.
Quelles sont les conséquences
de cet arrêt ?
Les autorités de concurrence pourraient se caler sur les critères qu’il fixe pour déterminer les éléments qui peuvent être saisis dans le cadre d’opérations de visites et de saisies. Une évolution lente, mais persistante, conduit à la réduction du champ du secret des correspondances. Il y a quelques années, il était possible de faire valoir qu’au sein d’une messagerie, certains échanges de mails relevaient du champ du secret des correspondances et ne pouvaient pas être saisis. La Cour de cassation décide, désormais, que les messageries constituent un « tout insécable ». Par la suite, la pratique des « scellés fermés provisoires », proposée par les autorités de concurrence, permet d’identifier les documents couverts par le secret afin qu’ils soient supprimés du scellé définitif. Contre toute attente, cette pratique, saluée à ses débuts, pourrait ne pas aller dans le sens initialement souhaité. Elle montre sa limite avec l’absence de contradictoire sur le caractère protégé ou non des pièces examinées lors de l’ouverture du scellé, étape pendant laquelle les avocats peuvent n’être que simples spectateurs. Il faut aller devant la cour d’appel pour espérer faire écarter certains éléments saisis, sachant que le recours devant la cour d’appel n’est pas suspensif de l’analyse par les autorités de concurrence des pièces litigieuses. C’est donc une fiction de compter sur le secret de ces documents qui, bien que retirés in fine de la procédure, peuvent être analysés par les enquêteurs avant leur exclusion et les orienter vers des pièces qui ne sont pas couvertes par le secret.
Quel est le risque pour les entreprises ?
Cet arrêt est susceptible de placer les autorités de concurrence dans une forme de contradiction. En en appliquant les principes, elles élargissent le périmètre des pièces saisies en incluant la consultation. Dans le même temps, elles incitent les entreprises à s’équiper de programmes de conformité aux règles de concurrence fondés sur des cartographies de risques d’exposition aux risques « concurrence » (document-cadre de l’Autorité du 24 mai 2022). La construction de ces programmes implique des échanges entre l’avocat et l’entreprise (et leurs juristes internes dont on attend toujours que les avis soient également protégés).
Plus largement cet arrêt risque de décourager les entreprises à solliciter de leurs avocats une analyse susceptible, en cas d’opération de visite et saisie, de devenir une pièce à charge.
Réf.: Cass. crim., 30 sept. 2025, n° 24-85.225, B