Connexion

Interview de la nouvelle présidente du TC de Nanterre

Par C. Drévillon

Catherine Drévillon, présidente du tribunal de commerce de Nanterre, a pris ses fonctions le 2 février 2024, à l’occasion de l’audience de rentrée. Première femme à présider la juridiction consulaire altoséquanaise, elle succède à Jacques Fineschi. La LJA l’a rencontrée pour connaître son parcours et les orientations de son mandat. Interview. 

Quel est votre parcours professionnel et pourquoi avez-vous souhaité devenir juge consulaire ?

Originaire de Bretagne, je vis dans les Hauts-de-Seine depuis près de 30 ans. Je suis juriste de formation et titulaire de l’équivalent d’un master 1 en droit des affaires et d’un master 2 en finance. J’ai débuté mon activité professionnelle dans le secteur bancaire et en 2001, j’ai créé une société de formalités juridiques que j’ai cédée au groupe Les Échos en 2022. Le droit me manquait et j’ai présenté ma candidature comme juge consulaire, au tribunal de Nanterre en 2011. J’ai exercé les fonctions de président d’une chambre du contentieux en 2018 et en 2019, puis je suis devenue vice-président du tribunal en 2020. J’ai pris un temps de réflexion avant de présenter ma candidature à la présidence, je sais que c’est un gros engagement.

Lors de votre discours à l’audience de rentrée,
vous avez indiqué vouloir augmenter l’effectif
des juges consulaires, qui sont actuellement 72 dans
votre juridiction. Dans quelles proportions ?

Compte tenu de la hausse de l’activité dans le tribunal, et ce dans tous les domaines, je souhaiterais créer une chambre du contentieux supplémentaire, car tous nos juges sont très occupés, et les affaires soumises au tribunal sont de plus en plus complexes. Rien n’est arrêté encore, l’idée serait de recruter 8 juges consulaires supplémentaires, pour porter l’effectif à 80 juges, ce qui est indispensable pour conserver un délai correct pour rendre nos décisions. Ce sera l’une des priorités de cette année, car le processus de recrutement prend du temps. L’augmentation des effectifs doit être approuvée par la Chancellerie après avis de la cour d’appel. Ensuite il faut recevoir des candidats potentiels courant du 1er semestre, et leur faire passer courant juin des épreuves de sélection qui sont communes à tous les tribunaux de commerce d’Ile de France. Puis ce n’est que s’ils sont élus que les candidats retenus deviennent juges. Les élections se tiennent en octobre, les électeurs sont des juges, anciens juges et représentants de la Chambre de commerce et de la Chambre des Métiers.

Comment sont formés les juges consulaires ensuite ?

Une formation initiale répartie en 8 journées est dispensée par l’ENM pour apprendre les bases et les grands principes du droit français, car beaucoup de candidats ne sont pas juristes de formation. Nous avons beaucoup de personnes qui ont un profil d’ingénieur et ont évolué en devenant cadres dirigeants dans les entreprises. En plus de cette formation générale nous organisons au sein du tribunal des formations de deux heures, plus pratiques, consacrées à l’étude des dossiers. Nous avons également mis en place un système de tutorat : chaque nouveau juge est associé à un tuteur plus expérimenté. Le moment du délibéré, puisque les décisions sont toujours prises à 3 juges, est aussi très formateur, dès qu’ils ont prêté serment les futurs juges peuvent y assister. Nous pensons que le fait d’échanger avec les autres juges permet d’acquérir des réflexes dans la technique de rédaction des décisions, pour qu’elles soient bien motivées. Il y a là un enjeu de pédagogie. En 2023 d’ailleurs, le taux d’appel des décisions du tribunal est descendu à 9, 8 % contre 12, 8 % l’année dernière. Le taux d’infirmation était de 2, 4 % contre 2, 7 % en 2022.

L’activité du tribunal de commerce est en hausse en 2023. Comment analysez-vous ce phénomène ?

En effet, en 2023, dans tous les domaines d’activité du tribunal, les chiffres sont en nette progression. En ce qui concerne le contentieux, le nombre des nouvelles affaires est en augmentation de 19 % et les référés de 14 %. Les requêtes en injonction de payer ont bondi avec plus de 69 % par rapport à l’année dernière. Les procédures collectives ont aussi beaucoup augmenté avec + 43 % pour les liquidations judiciaires et + 69 % d’ouvertures de redressement et de sauvegarde. Les saisines augmentent aussi en procédures préventives, ce qui est une bonne chose, car cela signifie qu’elles sont mieux connues par les dirigeants d’entreprises, même si c’est encore insuffisant. Mon prédécesseur, Jacques Fineschi, a beaucoup œuvré pendant sa mandature pour faire connaître les procédures préventives et je voudrais continuer à porter ce message.

Pour autant, pensez-vous que nous sommes
au pied du fameux « mur des faillites » ?

En réalité, c’est la reprise active des procédures, par l’Urssaf et d’autres organismes publics, notamment pendant le dernier trimestre 2023, qui pourrait provoquer une forte hausse du nombre de dossiers. Il est vrai que les entreprises font face à différents problèmes, pas seulement d’endettement, notamment le coût de l’énergie, mais même si le nombre de procédures collectives risque d’être soutenu pendant les deux ou trois prochaines années, nous espérons ne pas faire face à un raz-de-marée. Certains secteurs sont davantage en difficulté, et nous le voyons dans nos dossiers, notamment celui de l’hôtellerie et les entreprises dans le secteur du bâtiment.

Le tribunal de commerce de Nanterre est volontaire pour être dans l’expérimentation relative au tribunal des affaires économiques (TAE) prévu par la loi du 20 novembre 2023. Pour quelles raisons ?

Cette expérimentation concernera 9 à 12 tribunaux de commerce durant 4 ans et nous avons été candidat de la première heure à cette expérimentation. D’abord parce que je pense que lorsqu’il y a un test, il est toujours mieux d’y participer que d’être spectateur, afin de faire valoir ses arguments et si nécessaire chercher des voies d’amélioration. Par ailleurs, compte tenu du tissu économique dans notre juridiction, il semble naturel que nous fassions partie de l’expérimentation. Parmi les dispositions principales de la loi, nous pouvons retenir que les TAE connaîtront de toutes les procédures collectives, quelle que soit l’activité ou la forme juridique, sauf les professions réglementées juridiques. Les sociétés civiles, des professionnels libéraux constitués en société, ou certaines associations ont une véritable activité commerciale, il n’est donc pas surprenant que leurs difficultés relèvent de la compétence des juges consulaires qui connaissent bien le droit des procédures collectives. T

Propos recueillis par Anne Portmann