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« Il est urgent de poser un cadre législatif global pour réduire les risques autour des management packages »

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Dans un arrêt du 28 septembre 20231, la 2e chambre civile de la Cour de cassation a porté un nouveau coup de frein aux management packages, après ceux infligés en 2021 par le Conseil d’État. L’équipe de Scotto Partners décrypte les termes et les conséquences de l’arrêt.

Dans quel contexte cet arrêt de la Cour de cassation a-t-il été rendu ?

Isabelle Cheradame : Les management packages sont mis en place dans les LBO pour aligner les intérêts patrimoniaux des managers clés avec ceux des investisseurs financiers sponsors de ces opérations. Ces packages permettent aux managers de capter, via des titres dédiés, une partie des gains capitalistiques générés par l’opération de LBO, en étant soumis à des conditions de performance.

Bertrand Thibaut : À l’inverse d’une rémunération (bonus, LTIP), par définition sans risque financier, l’accès au management package requiert le plus souvent un investissement. C’est cette prise de risque qui permet d’aligner les intérêts. Elle a longtemps justifié le traitement des gains du management package en tant que revenus du capital mobilier.

Que dit ici la Cour ?

Émilie Renaud : Comme d’autres avant elle, cette décision traite d’un cas particulier dans lequel des dirigeants avaient souscrit des bons de souscription d’actions (BSA). La qualification de salaire retenue par les juges n’était pas motivée par l’absence de qualité d’associé des participants ou par le bénéfice d’un prix de souscription minoré, comme on aurait pu s’y attendre s’agissant de tels outils. Les juges se réfèrent à deux critères : (i) la souscription des BSA était réservée à l’équipe de direction et (ii) les bons étaient incessibles. D’autres considérations importantes n’ont eu aucune incidence : l’exercice des BSA n’était soumis à aucune condition de présence (deux des sept participants avaient quitté l’entreprise à la date de l’exercice). Par ailleurs, même non cessibles, les bons pouvaient être exercés sur une période de quatre ans.

L’arrêt Barrière de 2019 avait certes ouvert la voie à ce type de raisonnement en matière d’Urssaf. Mais les juges vont ici beaucoup plus loin en se détachant du principe selon lequel les cotisations de sécurité sociale sont dues lorsque le gain devient « disponible », c’est-à-dire lorsque les bons deviennent cessibles ou exerçables. Elle considère désormais que le gain d’exercice ou de cession des bons ne peut être évalué que lors de sa réalisation effective – repoussant ainsi le délai de reprise en plus d’augmenter l’assiette des cotisations.

Quelle est la portée de l’arrêt ?

Émilie Renaud : La portée négative de cette décision rendue en matière de charges sociales est malheureusement encore plus importante que celle des arrêts de 2021 rendus par le Conseil d’État en matière fiscale. Ce, pour deux raisons. D’abord, l’impact financier d’une requalification en salaire peut être beaucoup plus important en matière de cotisations sociales qu’en matière d’impôt. En outre, le redevable légal des cotisations n’est pas l’actionnaire mais l’employeur.

Concrètement, qui paiera les cotisations sociales ?

Bertrand Thibaut : L’employeur reste l’unique débiteur des cotisations sociales vis-à-vis de l’Urssaf. C’est donc lui qui sera redressé. Mais en théorie, les cotisations salariales supplémentaires pourront être réclamées par l’employeur au salarié sur le fondement de la répétition de l’indu. Ce recours est peu exercé par les employeurs lors de redressements « classiques » (avantage en nature, heures supplémentaires), notamment lorsque le redressement résulte d’une mauvaise application de la législation par l’employeur. Mais dans le contexte des opérations de private equity, le redressement concernant un nombre limité de personnes et n’étant pas lié à une erreur manifeste de l’employeur, on peut craindre que certains employeurs redressés exercent ces recours à l’encontre des managers concernés.

Quel est l’impact sur les dirigeants ?

Isabelle Cheradame : Rappelons que le private equity ne fonctionne pas sans l’alignement des intérêts des dirigeants avec ceux des fonds d’investissement. Cela implique un investissement des dirigeants (à risque, bien que cela semble occulté !), un mécanisme de captation de valeur et un mécanisme de rétention (communément via des promesses de vente portant sur les actions des managers). Ce mécanisme de rétention – quel qu’il soit – crée de facto un lien entre la détention des titres et le maintien des fonctions. Un management package sécurisé coûtera vraisemblablement plus cher à tous les intervenants, dirigeants et entreprises et, à travers ces dernières, à tous leurs salariés et les fonds d’investissement actionnaires. Cela touche tout l’écosystème du capital investissement, qui finance pourtant aujourd’hui une grosse partie du développement des entreprises en France.

Bertrand Thibaut : N’oublions pas que, contrairement à la plupart des pays qui nous entourent (Allemagne, Italie, Espagne, etc.), les cotisations sociales françaises ne sont pas plafonnées. Nous allons encore perdre en compétitivité.

Et sur les opérations à venir ?

Émilie Renaud : Le private equity avait déjà été profondément perturbé par les décisions du Conseil d’État de 2021, perçues comme dogmatiques. De nouveaux équilibres commençaient, néanmoins à être identifiés. Il faudra faire preuve d’une grande prudence et réévaluer ces nouveaux équilibres à la lumière de la motivation retenue par la Cour de cassation dans cette affaire Alten. On peut craindre notamment que les vérificateurs tentent de transposer le raisonnement tenu au cas d’espèce à des investissements plus récents, structurés selon d’autres modalités. Les contours de la notion de « cessibilité » des instruments mériteraient d’être précisés.

Les projets de loi en cours ne peuvent-ils pas apporter des solutions ?

Isabelle Cheradame : Les propositions du projet de loi en cours d’étude au Parlement sur le partage de la valeur au sein de l’entreprise sont intéressantes, mais elles ne répondent pas aux besoins évoqués. D’autres pistes avaient déjà été proposées en 2021, plus complètes et mieux adaptées. Elles mériteraient d’être reprises et débattues sérieusement, cette fois, en prenant en compte tous les enjeux. Il est urgent de poser un cadre législatif global et sécurisant pour réduire les risques et les incertitudes autour des management package et ne pas grever l’essor du private equity français. 

Notes

(1) civ. 2, 28 sept. 2023, n° 21-20.685