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Guichet unique des formalités d’entreprises : quelles implications ?

Par Anne Portmann

À partir du 1er janvier 2023, le Guichet électronique des formalités d’entreprises, dit « Guichet unique », plateforme opérée par l’INPI, sera obligatoire pour déclarer les créations d’entreprises, les modifications de leur situation ou la cessation de leurs activités. Une réforme qui inquiète les professionnels.

Prévu par la loi Pacte, le Registre national des entreprises (RNE) a été créé par l’ordonnance n° 2021-1189 du 15 septembre 2021. Ce registre unique a été conçu dans un objectif de simplification, pour rassembler dans un endroit unique toutes informations sur les entreprises exerçant sur le territoire français, qu’elles aient une activité de nature commerciale, agricole, artisanale ou indépendante. Ces informations étaient jusqu’à présent dispersées au sein de différents registres selon la nature de leur activité et gérées par des autorités distinctes : greffes des tribunaux de commerce ou des tribunaux judiciaires statuant en matière commerciale, chambres des métiers et d’artisanat, caisses de mutualité sociale agricole. Elles seront désormais rassemblées au sein de ce guichet unique, dont la tenue incombe à l’INPI. Toutefois, si l’INPI est chargé de la tenue de ce registre, la validation et le contrôle des informations déposées par les déclarants relèvent toujours de la compétence des autorités désignées en raison de la nature de l’activité des entreprises. Deux décrets du 19 juillet 2022, très attendus, ont complété le dispositif en précisant le cadre légal du RNE et des droits dus par les déclarants. Le dispositif est donc, en théorie, prêt à fonctionner pour le 1er janvier 2023. Sur le papier, tout semble parfaitement en ordre de marche. Mais tel n’est pas totalement le cas, lorsqu’on creuse un peu plus.

Difficultés

Le député des Hauts-de-Seine Emmanuel Pel lerin (Renaissance), au vu des difficultés relatives à la mise en place de ce guichet unique, a posé le 22 novembre dernier une question écrite au ministère de l’Économie et des Finances, demandant si un décalage de plusieurs mois de l’entrée en application de ce nouveau système était envisagé. Il indique en effet que le portail opéré par l’INPI n’est pas encore fonctionnel et se fait le relais de nombre de professionnels alertant sur le risque que les entreprises aient à subir un retard considérable dans le traitement de leurs formalités, voire soient dans l’impossibilité de respecter certaines de leurs obligations légales. Emmanuel Raskin, président du syndicat ACE (Avocats, ensemble), est lui aussi assez alarmiste face à ce qu’il appelle une « cacophonie ». « On me remonte des difficultés de partout, le retard dans la mise en place du nouveau système n’est pas assumé par les pouvoirs publics », indique-t-il. Il assure que sur le principe, professionnels et entreprises ne sont pas hostiles à cette réforme. « La simplification et la numérisation sont de bonnes choses, mais il y a un an et demi de retard ! ». Juliane Gastambide et Audrey Dufour sont respectivement avocate et manager du département juridique au sein d’implid, une SPE au service des entreprises et réalisent des formalités pour leurs clients. Elles n’ont pas eu beaucoup de retours d’expérience, car si le nouveau portail est accessible pour les entreprises depuis le 1er janvier 2022, peu d’entre elles l’utilisent. Elles ont toutefois constaté, à 30 jours de l’échéance, des difficultés avec le nouveau portail. « J’ai dû m’y reprendre à trois fois pour faire une formalité », témoigne Audrey Dufour. Elles expliquent que la plateforme opérée par l’INPI est encore loin d’être finalisée et que, pour certaines démarches, le site renvoie même vers l’ancien système. Juliane Gastambide pointe aussi une autre difficulté : « Il y a un délai de latence indéterminé entre le moment où le déclarant entre l’information sur la plateforme et le moment où l’autorité compétente, à laquelle la plateforme renvoie l’information pour qu’elle soit vérifiée, la valide. C’est très gênant car certains délais légaux courent à compter de la date de dépôt de la formalité et leur non-respect est sanctionné ». Selon nos informations, les greffes des tribunaux de commerce recevraient les informations après un délai qui peut aller, parfois, jusqu’à 14 jours. « Nos clients ne se rendent pas vraiment compte des implications de cette réforme, poursuit Juliane Gastambide mais nous les préparons d’ores et déjà à anticiper davantage leurs formalités, d’autant plus que la procédure qui permettait de se déplacer physiquement dans les greffes pour déposer les documents en urgence, sans passer par la plateforme CFE a été supprimée ». Guillaume Buy, associé au sein du cabinet marseillais BBLM avocats, confirme ces difficultés et regrette que le nouveau système ne donne pas la possibilité d’avoir accès à un interlocuteur en cas de problème. « Nous connaissons bien les greffiers, qui nous donnaient toujours une réponse et que nous pouvions contacter si besoin. Avec la nouvelle plateforme, nous n’avons pas cette possibilité de dialogue », relève-t-il.

Reculer l’échéance

Dans une tribune adressée au ministre de l’Économie et des Finances1, le syndicat ACE dénonce « la précipitation » avec laquelle la réforme a été mise en place et pointe précisément quelques difficultés signalées par les déclarants depuis que la plateforme est en régime transitoire : certaines entreprises ne sont pas reconnues par le système et des documents qui n’étaient, jusqu’ici, pas réclamés, sont désormais exigés. Marc Ringlé, président de l’association « Droit et commerce », avocat à Marseille, a également été saisi de difficultés relatives à cette plateforme, théoriquement accessible aux professionnels disposant d’un mandat pour réaliser les formalités d’entreprises pour le compte de leurs clients depuis le 1er janvier 2022. « La plateforme révèle à l’usage, selon les indications provenant de ses utilisateurs, de multiples lacunes et blocages qui rendent irréaliste et dangereuse la réalisation de cet objectif d’unification au 1er janvier, en pleine période de formalités, sous peine de bloquer le fonctionnement juridique d’un grand nombre d’entreprises et par voie de conséquence de constituer un frein à l’économie ». Lui aussi réclame un moratoire qui permettrait de conserver parallèlement une saisine physique et le fonctionnement du système actuel jusqu’au règlement définitif des problèmes rencontrés et après une période d’essai suffisamment longue. La question sera portée à l’ordre du jour de l’assemblée générale de l’association qui se tient le 9 décembre 2022.

Une procédure entièrement dématérialisée

Le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC), sollicité pour cet article, a préféré ne pas s’exprimer. Son président, Thomas Denfer, avait pourtant évoqué la question, il y a quelques semaines, lors du Congrès national des greffiers aux tribunaux de commerce, alertant notamment sur le risque de fracture numérique lié à la dématérialisation. Il a souligné que les greffiers, qui recevaient physiquement les entrepreneurs, pouvaient détecter des situations difficiles et les orienter vers un accompagnement idoine. Tel ne sera plus possible si les formalités sont réalisées uniquement par voie numérique. Selon certains, les greffes anticipent une activité réduite au début de l’année, le temps du rodage du nouveau système. « Le plus ennuyeux c’est cette incertitude, ce flou qui nous empêche d’anticiper », glisse encore un praticien. À titre individuel, certains greffiers se sont exprimés, comme Bernard Ballet, greffier associé au tribunal de commerce de Nice qui estime qu’« il est incompréhensible de vouloir maintenir cette date du 1er janvier comme impérative alors qu’il n’y a aucun impératif à rendre obligatoire un dispositif qui n’est pas prêt, alors que la solution actuelle gratuite et performante satisfait l’ensemble des intervenants (entreprises, mandataires en formalités en experts-comptables, professionnels du droit) ». Le président de l’Union des autoentrepreneurs, François Hurel, s’est également exprimé dans les médias, dénonçant la « lourdeur du dispositif », qui oblige désormais un autoentrepreneur souhaitant s’immatriculer à répondre à 180 questions au lieu de 39 jusqu’à présent. Emmanuel Raskin continue à espérer une prise en considération de ces remontées de difficultés et un différé de la mise en vigueur initialement prévue le 1er janvier 2023, ainsi qu’une possibilité de faire coexister le nouveau système avec ceux en place, le temps qu’il soit totalement opérationnel.