Groupe d’action international des procureurs anticorruption : quelles conséquences pour les entreprises exposées à des risques de corruption transnationale ?
Le 20 mars 2025, à Londres, Nick Ephgrave QPM, directeur du Serious Fraud Office du Royaume-Uni, Stefan Blättler, procureur général de la Confédération Helvétique et Jean-François Bohnert, procureur de la République financier français, ont signé une déclaration commune créant le Groupe d’action international des procureurs anticorruption. Le décryptage de Rachel Lindon, associée fondatrice du cabinet éponyme.
Qu’est-ce qui a motivé la création de cette « taskforce » internationale ?
Dans une procédure sur trois suivie par le Parquet national financier (PNF), il est désormais nécessaire de recourir aux mécanismes d’entraide pénale internationale, et il y a une augmentation sensible des demandes qui lui sont adressées par les juridictions étrangères depuis 2021 .Si des vents contraires à la coopération semblent souffler outre-Atlantique avec la suspension, le 10 février dernier, pour une durée de 6 mois, des poursuites engagées à l’encontre de sociétés étatsuniennes sur le fondement du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), l’Europe continue, elle, de renforcer son arsenal de lutte contre la corruption, notamment via de nouvelles formes d’entraide pénale internationale. La récente création de ce groupe en témoigne.
Pourquoi formaliser cette coopération ?
La coopération judiciaire entre ces autorités passe d’une coopération ad hoc à une véritable architecture institutionnalisée formalisée par la création d’unités opérationnelles autonomes. L’objectif affiché est de renforcer la synergie entre les trois acteurs en multipliant les échanges, en proposant des actions conjointes, en partageant des bonnes pratiques mais surtout en concevant des projets de coopération opérationnelle. Cette initiative s’inscrit d’ailleurs dans le sillage d’une CJIP Airbus remarquée en 2020, résultant d’une enquête conjointe entre le PNF, le SFO et le DoJ. À travers cette CJIP tripartite, le PNF avait déjà assis sa légitimité dans des affaires de corruption transnationale, en obtenant d’ailleurs en France le versement de la majorité des sanctions pécuniaires.
Pourquoi les mécanismes de coopération classiques sont insuffisants ?
La création de ces unités et de ces partenariats répond aux difficultés auxquelles font face les parquetiers et enquêteurs dans les affaires de corruption transnationales. Le cadre de la coopération pénale internationale peut être restrictif. Dans une affaire récente(1), un juge d’instruction français, agissant dans le cadre d’une commission rogatoire internationale à laquelle les autorités américaines avaient fait droit, s’était rendu aux États-Unis pour procéder à l’interrogatoire de première comparution d’une justiciable française, suivi de sa mise en examen. Malgré l’accord des autorités américaines et bien que cette démarche s’inscrive dans le cadre d’un traité de coopération judiciaire (2) qui n’exclut pas la conduite de tels interrogatoires, la Cour de cassation a estimé que cette pratique excédait le périmètre autorisé par l’article 93-1 du code de procédure pénale. Elle a prononcé la nullité de la mise en examen et des actes subséquents, marquant ainsi les limites territoriales de la puissance judiciaire française, même dans le cadre d’une coopération judiciaire active. En l’absence de comparution volontaire des mis en cause étrangers en France pour des interrogatoires, l’état actuel de la jurisprudence pousse vers les mécanismes de coopération, sans permettre toutefois que les mis en cause deviennent parties au cours des interrogatoires menés dans ce cadre, quitte à recourir, plus tard dans la procédure à des mécanismes plus coercitifs. Les arrêts illustrent la tension structurelle et fondamentale de l’entraide pénale internationale : comment conjuguer l’efficacité opérationnelle souhaitée par les parquetiers et magistrats instructeurs avec les exigences procédurales et souveraines des systèmes juridiques nationaux ?
Ces accords ont-ils vocation à se multiplier ?
Il est loisible de penser qu’il y aura, à l’avenir un recours accru à des méthodes conférant un plus grand périmètre d’action, notamment les équipes communes d’enquête (ECE) . En effet, Eurojust dans son rapport annuel pointe une progression de 25 % dans le recours aux ECE en 2024. L’ouverture récente d’une enquête commune d’enquête PNF et le SFO visant un armateur français en 2024 témoigne de l’activation concrète de ces outils. Ils permettent de contourner la lourdeur des commissions rogatoires internationales. Ces équipes se caractérisent avant tout par une grande flexibilité dans leur établissement et dans leur fonctionnement.
Quelles conséquences pour les personnes poursuivies ?
Il faut être vigilant à la préservation de leurs droits dans le cadre d’une enquête transnationale, notamment lorsque les protections offertes différent d’un pays à l’autre, et sur la façon d’anticiper les risques pénaux lorsqu’on fait face à des services d’enquête de différents pays. La jurisprudence aura vocation à s’étoffer à mesure que les personnes poursuivies feront face à ces nouvelles configurations procédurales.
Les entreprises doivent-elles être vigilantes aux dispositions de ces accords de coopération ?
Il s’agit d’un sujet majeur pour les sociétés multinationales. L’émergence de ces dispositifs plus dynamiques va contraindre les praticiens à opérer dans des configurations inédites, combinant des règles procédurales de différents pays, et les inviter à se doter d’un réseau et d’une pratique transnationale afin d’apprécier le risque pénal et mieux accompagner leurs clients. Pour les juristes d’entreprise, la prise en compte de ces nouveaux dispositifs signifie l’anticipation des implications multi-juridictionnelles dès la détection d’un risque de conformité, l’adaptation des politiques de compliance aux standards internationaux d’investigation, ainsi que la formation des équipes juridiques internes à la coopération judiciaire internationale et aux droits procéduraux comparés.