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SPE de cabinets d’avocats et de CPI : révolution ou simple coup de com’ ?

Par Aurélia Granel

Après l’échec in extremis du projet de fusion des deux professions en 2010, la loi Macron a offert, aux avocats et conseils en propriété industrielle (CPI), la possibilité de travailler au sein d’une société pluriprofessionnelle d’exercice (SPE).

Si les premières créations ont été annoncées en 2018, les cabinets d’avocats Bardehle Pagenberg et Abello IP Firm se sont lancés dans l’aventure en début d’année. Bilan de la création d’une structure juridique qui n’a peut-être pas révolutionné le paysage de la propriété industrielle en France autant que prévu.

«Trois possibilités étaient envisageables pour que les professions réglementées puissent travailler au sein d’une même structure : le cumul de titres, la fusion ou l’interprofessionnalité, notamment via la création de SPE, souligne Guylène Kiesel Le Cosquer, managing partner de Plasseraud IP. Le choix de la SPE est, sans doute, l’une des premières étapes en faveur d’une grande profession du droit. » Face à des textes législatifs qui se veulent flexibles, six professions réglementées, dont les avocats et les CPI, ont diffusé un guide cet été, visant à harmoniser les modalités pratiques de création, d’organisation et de fonctionnement des SPE. S’appuyant sur ces travaux, Bardehle Pagenberg a franchi le pas mi-janvier à Paris, en devenant un cabinet pluriprofessionnel, à l’instar de ses bureaux de Munich et Düsseldorf. La structure parisienne motive son choix par une volonté de renforcer son activité de dépôt et de gestion de titres de propriété industrielle et en particulier de brevets. La même semaine, le cabinet d’avocats Loyer & Abello, devenu Abello IP Firm, a annoncé à son tour la création, à Sophia-Antipolis, d’Abello Grand Sud, une SPE de CPI et d’avocats.

Il faut dire que l’interprofessionnalité présente de nombreux atouts en raison de la complémentarité des professions, même si les cultures d’entreprise sont différentes. Dans les dossiers, l’avocat a besoin d’un CPI pour sa vision technique du dossier et inversement en cas de contentieux. « Les enjeux financiers du contentieux d’un brevet ne cessent d’augmenter, indique Michel Abello, managing partner de Abello Ip Firm. Un simple partenariat entre cabinets d’avocats et CPI qui ne se voient que quelques fois par mois est insuffisant. Demeurer dans les mêmes locaux permet de travailler main dans la main. » Philippe Blot, président de Lavoix, déclare à son tour : « Entre les CPI brevets et marques, les différences sont parfois plus marquées qu’entre avocats et CPI brevets. Or, personne ne se pose la question de savoir si des CPI marques et brevets peuvent cohabiter. »

L’interprofessionnalité entre CPI et cabinets d’avocats existait déjà dans une certaine mesure. Quelques cabinets d’avocats salariaient déjà des ingénieurs. « Aujourd’hui, grâce aux SPE, des cabinets de CPI peuvent bénéficier en interne d’un avocat, mais, ce n’est pas encore une réelle interprofessionnalité effective, qui nécessite un grand nombre d’ingénieurs et d’avocats travaillant ensemble, comme cela est le cas de certains de nos voisins européens et des USA qui pratiquent l’interprofessionnalité depuis longtemps », déclare Michel Abello. De la même manière, des cabinets de CPI, tels que Lavoix et Casalonga, collaboraient déjà, avec des avocats, dans le cadre d’un réseau interprofessionnel. Ils attendaient depuis longtemps de pouvoir travailler au sein de la même structure et ont été les premiers à se transformer en SPE en 2018. Au-delà d’une réduction des coûts de structure, la constitution d’une SPE n’a cependant pas entraîné de grands changements pour les clients qui travaillaient déjà avec des équipes mixtes. Lavoix disposait même, depuis des années, d’un standard téléphonique, bureau d’accueil et salles de réunion en commun avec son cabinet d’avocats partenaire à Paris.

Même si des acteurs majeurs de la propriété industrielle avaient déjà pris l’initiative de pratiquer l’interprofessionnalité à leur manière avant la réforme, les perspectives d’évolution étaient limitées. « Le fait de devenir une SPE nous permettra d’offrir une carrière complète à des ingénieurs brevets qui se voyaient empêchés d’évoluer vers l’association dans le cabinet d’avocats, indique Julien Fréneaux, président du cabinet Bardehle Pagenberg. L’interprofessionnalité est un atout qui permet d’offrir aux clients un service intégré de A à Z depuis le dépôt des titres, jusqu’à leur défense en justice, en passant par leur exploitation contractuelle au travers de licences notamment. »

Pas de modèle unique

Tous les acteurs de la propriété industrielle n’ont pas fait le choix de recourir à la création d’une SPE. Déjà, la possibilité n’est pas ouverte à certaines structures juridiques, dont la société civile qui est la forme de Plasseraud IP, membre d’un réseau interdisciplinaire. D’autres regrettent que le législateur ne soit pas allé plus loin et sont sensibles à la lourdeur administrative inhérente à la SPE. « À défaut d’avoir fusionné les professions d’avocat et de CPI, deux régimes ont été additionnés, déclare Michel Abello. Nous sommes notamment soumis à deux ordres professionnels distincts dont il faut répondre, avons une double assurance à payer et continuons chacun à être gouverné par nos propres textes et règles de déontologie. »

Une troisième catégorie préfère garder son indépendance. Et cela, dans les deux sens. D’une part, quelques cabinets d’avocats spécialisés sont nourris par les contentieux apportés par les CPI et se lier à un seul et unique interlocuteur présente le risque de tarir la source des apporteurs d’affaires. Ensuite, attention à l’effet domino en cas de perte de clients. « Les deux professions sont liées en cas de succès et de défaite lorsqu’elles sont exercées au sein d’une même structure, explique Michel Abello. En cas de litige inconsidéré dans une SPE qui fait du dépôt de brevet et du contentieux, il peut y avoir une perte de la clientèle pour l’intégralité du cabinet. » Certains acteurs préfèrent donc coopérer avec un ou plusieurs cabinets qui restent indépendants.

Rappelons que la fusion des deux professions a échoué in extremis en 2010. « Les CPI étaient prêts à fusionner, mais les avocats avaient peur de perdre leur indépendance », indique Michel Abello. Et Guylène Kiesel Le Cosquer de souligner : « Il était plus simple de créer les SPE plutôt que fusionner les professions en raison de l’esprit d’indépendance qui caractérise les professions libérales. » Et d’ajouter : « Je n’exclus pas de voir éclore, d’ici quelques années, des créations de SPE entre CPI et experts-comptables ou avec des notaires. Peut-être moins avec des huissiers de justice avec lesquels notre complémentarité est essentiellement limitée à la saisie-contrefaçon. »

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