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Relations magistrats-avocats : un rapport au vitriol

Par Anne Portmann

L’avocat parisien Daniel Soulez Larivière, en qualité de président du Comité d’éthique du barreau de Paris, a signé un rapport sur les relations entre les deux professions qui étrille sévèrement ses confrères et formule neuf recommandations pour apaiser les tensions entre magistrats et avocats, en faisant émerger une véritable « communauté juridique », inexistante à l’heure actuelle selon lui. Morceaux choisis.

C’est peu après l’incident qui a eu lieu au tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence, qui a opposé l’avocat niçois Paul Sollacaro au magistrat Marc Rivet, que ce rapport signé « pour le Comité d’éthique du Barreau de Paris », par son président, Daniel Soulez Larivière, a été rendu public. Il date pourtant du 1er février dernier. À cet égard, on peut peut-être regretter ce « timing » et le ton acide de ce rapport dans un contexte difficile. Dès l’avant-propos, l’avocat annonce la couleur : le rapport, issu des échanges entamés en 2020 avec les membres du comité « a pour but de soutenir des analyses autonomes et non corporatistes de la part de personnalités indépendantes ». Après avoir salué, dans l’introduction, la « réflexion fine et très mûrie » du bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, qui a placé un magistrat à la tête de l’École de formation du barreau de Paris, le rapport établit dans un premier temps le diagnostic de l’état de la relation avocats/magistrats avant de donner les neuf préconisations dans une seconde partie.

Un diagnostic amer

S’agissant de la place des juges, le rapport conclut à l’esprit de corps des magistrats et au caractère « revendicatif » des syndicats de magistrats, bien plus que dans d’autres pays. Concernant les avocats, il estime que la reconnaissance de leur rôle tardif en matière pénale explique la division des deux professions, ce « terreau historique » ayant créé « l’hostilité entre les deux professions ». Au chapitre politico-sociologique, l’auteur du rapport remarque qu’avocats et magistrats n’hésitent pas à descendre dans la rue, chose impensable aux États-Unis et au Royaume-Uni. À cela s’ajoute une forme de « paupérisation et de poujadisation » de la profession d’avocat qui se prolétarise, contrairement à celle de magistrat, qui a acquis prestige et reconnaissance financière avec le temps, qui « refuse obstinément de s’organiser », résiste de manière « aberrante » à l’idée d’un service public de la défense. « Leur bricolage parfois talentueux dans l’exercice de la défense des plus démunis reste un bricolage », croit savoir l’auteur, qui fustige également la nouvelle architecture des palais de Justice, qui accentue les divisions.

Concernant l’aspect procédural, le rapport n’est pas moins tendre. « Certains avocats ne savent pas encore qu’un discours de conférence n’est pas un modèle de plaidoirie », darde l’auteur, qui constate qu’au civil, les règles du jeu ont disparu. Et la situation est « pire » au pénal, l’avocat étant perçu comme une entrave par les magistrats et étant, de toute façon « rarement capable de poser correctement une question » à l’audience. Il faudrait donc « interdire aux avocats, même les plus anciens, de poser des questions idiotes », puisqu’ils ne sont pas assez formés, l’art de la plaidoirie appartenant exclusivement « à quelques personnalités confirmées comme Henri Leclerc et Éric Dupond-Moretti ». Voilà qui est dit.

Daniel Soulez Larivière questionne également le rapport à la preuve du système judiciaire français, également source du mal selon lui, car l’absence de codification laisse libre cours aux spéculations de part et d’autre, l’avocat considérant le juge comme un tricheur et le juge considérant l’avocat comme un menteur. Cet amer diagnostic se termine avec des considérations sur le secret professionnel des avocats, atteinte à la souveraineté du juge et trop faiblement protégé en France.

Des recommandations convenues

Le rapport recommande ensuite d’opérer des mutations culturelles pour aboutir à la création d’une véritable communauté juridique, telle qu’elle existe outre-Manche ou outre-Atlantique, pour surmonter ces divisions. La première préconisation est d’agir et d’opérer des transformations en ce sens. La création de chambres internationales devant les juridictions françaises pourrait ainsi être un élément de transformation de notre culture judiciaire. La transformation, plutôt que la suppression, de l’École nationale de la magistrature est une autre voie de réflexion. Côté magistrats, il est ensuite proposé de pratiquer le détachement en cours de carrière, ainsi qu’un changement des méthodes de travail, avec, de manière un peu contradictoire, davantage de prise en compte de la soft law dans la pratique judiciaire et en même temps, l’établissement de davantage de règles. On notera également la préconisation ambitieuse d’instaurer une nouvelle preuve de la culture et de la vérité. L’auteur insiste pour la prise en compte des procédures collaboratives (dont CRPC et CJIP au pénal). Il pense qu’il serait également de bon ton que le barreau prenne position sur l’épineuse question de la séparation des magistrats du siège et du parquet.

La dernière recommandation et sans doute la plus originale, sur une idée de Jean Danet, est celle de mettre en place un système de parrainage intergénérationnel, entre un jeune avocat et un magistrat d’expérience – ou l’inverse. Le rapport est suivi de deux contributions, l’une d’Antoine Garapon et l’autre de Guy Canivet, qui ont nourri l’auteur du rapport.

Qu’il plaise ou non, ce rapport a le mérite de bousculer les idées reçues et dénote quelque peu des échanges à fleurets mouchetés qui ont lieu entre avocats et magistrats sur le sujet.

Daniel Soulez Larivière Olivier Cousi Éric Dupond-Moretti Guy Canivet Antoine Garapon École nationale de la magistrature (ENM)