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Recrutement en cabinet : les grandes tendances de la rentrée

Par Aurélia Granel

Cette rentrée est l’occasion, pour les chasseurs de têtes, de faire le point sur les tendances du marché en termes de recrutement en cabinet d’avocats.

Jeu de chaises musicales, le marché du recrutement des associés en cabinet d’avocats n’est jamais impacté par la conjoncture, juge Ian De Bondt, directeur associé de Fed Légal. Quand le marché est mauvais, les associés vont souhaiter exercer dans un autre cabinet en raison de leur insatisfaction globale et, lorsqu’il est bon, ils sont extrêmement sollicités et pensent que l’herbe est plus verte ailleurs ». Pour les cabinets de chasse de têtes, 2022 est une belle année pour le recrutement juridique en cabinet d’avocats d’affaires et le second semestre devrait être aussi intense que le premier. Une tendance qui a vu le jour en début d’année, se confirme : même si certains cabinets d’affaires annoncent une baisse de profitabilité relative par rapport à l’année 2021 qui était exceptionnelle, la plupart ne cachent pas leur volonté de croissance et de complémentarité de pratiques. « Le marché a favorisé le recrutement d’avocats ayant moins de portabilité de chiffre d’affaires que leurs ainés. Les cabinets étaient par exemple plus enclins à donner leur chance à des counsels, ou des jeunes associés, pour créer une pratique dans leur structure, considère Ian De Bondt. Les cabinets souhaitent désormais grossir, en créant de nouveaux départements et en complémentarisant ces nouvelles pratiques avec les existantes ». À l’image de Stephenson Harwood qui a recruté sept associés en 18 mois, faisant tous partie de la génération émergente d’avocats, pour répondre à la stratégie de la firme visant de faire de Paris un hub européen multi-services. Mélanie Tremblay, partner et directrice de SSQ France, prédit, elle aussi, dans les prochains mois, de nombreux recrutements par les cabinets de jeunes associés : « Le marché est beaucoup plus ouvert qu’il ne l’était depuis les dix dernières années et plus de jeunes profils sont recrutés. Les recrutements sont également plus rapides dans l’exécution. Avant la crise sanitaire, les structures anglo-saxonnes mettaient entre 4 et 12 mois pour compléter leurs processus en entier. Nous arrivons maintenant à boucler les recrutements en 2 ou 3 mois ».

Les Américains à l’affût

Alors que la firme Brown Rudnick vient d’annoncer fermer ses portes à Paris, d’autres cabinets américains, qui lorgnent sur la France depuis un petit moment, seraient prêts à se lancer. « Ces firmes américaines profitent d’une accalmie projetée en private equity aux États-Unis pour s’implanter, estimant qu’il s’agit du moment idéal, explique Mélanie Tremblay. Certaines vont s’installer de manière très prudente, tandis que d’autres ont l’intention de le faire de manière plus imposante, avec une grosse équipe, voire un cumul d’équipes ». Les premiers devraient poser leurs valises d’ici mars-avril 2023. Malheureusement, en raison de la tension sur les marchés, peu de candidats correspondent aux attentes de ces cabinets. « Lorsqu’elles débutent leurs recherches, ces firmes cherchent toutes plus ou moins le même profil, particulièrement au niveau du transactionnel et du white-collar crime, poursuit l’associée de SSQ. Tout est mis en oeuvre par les chasseurs de têtes pour dénicher le mouton à 5 pattes, même si le marché est plutôt saturé et tendu. Avec conviction et persuasion, on arrive à faire bouger les choses et à trouver des solutions sur mesure qui sont parfois surprenantes pour le marché ». Plusieurs cabinets espèrent faire un gros coup, à l’instar de Kirkland & Ellis qui s’est implanté à Paris fin 2018, en recrutant Vincent Ponsonnaille et Laurent Victor-Michel de Linklaters, mais qui depuis mise également sur les jeunes pour s’adjoindre des pratiques. Rappelons en effet que le cabinet a ouvert les portes de l’association à Kalish Mullen et Raphaël Bloch, chargés respectivement de créer les pratiques financement et structuration de fonds. Les deux associés ont moins de 10 ans de barre (cf. LJA 1521).

Le transactionnel à l’honneur

En termes de recrutement, les matières transactionnelles ont le vent en poupe. Et plus particulièrement le M&A, le private equity, le corporate tax, le financement, le capital market et l’immobilier transactionnel. Une tendance qui se confirme à la rentrée, mais qui n’est pas forcément vouée à perdurer. « Je pense que l’on connaîtra progressivement un ralentissement du marché du large cap, notamment sur les pratiques transactionnelles, prédit Ian De Bondt. Le marché deviendra un peu plus équilibré en termes de pratiques ». Les perspectives d’investissements immobiliers étant moins bonnes sur le 2e semestre que le premier, le recrutement juridique en immobilier transactionnel devrait se tarir. Les matières comme le droit public, le droit de l’environnement, le social et le restructuring devraient faire leur grand retour sur le devant de la scène. « Les associés ayant eu le plus de succès en 2021 et depuis le début de l’année 2022 sont ceux qui ont une activité diversifiée et sont capables de traiter des dossiers connexes à leur expertise initiale, estime Mélanie Tremblay. La pluridisciplinarité est une tendance qui revient et risque de perdurer ».

Un rapport de force inversé pour les collaborateurs

« Le premier semestre 2022 a été assez exceptionnel en termes de recrutement de collaborateurs en cabinets d’avocats, le marché étant resté extrêmement actif, sans ralentissement lié à la conjoncture, souligne Ian De Bondt, directeur associé de Fed Légal. Même si cela peut paraître étonnant, car le marché des collaborateurs est plus impacté par la situation socio-économique que celui des associés, la guerre en Ukraine et la remontée des taux n’a finalement pas joué sur le marché qui est resté sur la même lignée qu’au 2e semestre 2021 ». Si les mandats ne manquaient pas entre septembre 2021 et juin 2022, le recrutement des collaborateurs s’est révélé compliqué pour les chasseurs de têtes en raison d’une pénurie de candidats. La situation n’a guère évolué en cette rentrée de septembre, les cabinets peinant toujours à recruter. « Cette pénurie peut s’expliquer de plusieurs manières : soit par des offres inadéquates aux profils des candidats sur le marché, soit par une frilosité liée à une incertitude socio-économique, soit par la surprotection des avocats par leurs cabinets, poursuit le directeur associé de Fed Légal. Les cabinets ayant perçu la difficulté du marché ont fait très attention à la manière de traiter leurs meilleurs talents, en leur offrant de belles augmentations et bonus, d’où l’effet de rétention ». Sans compter que les responsables d’équipes ont aussi répondu aux attentes de ces jeunes avocats, plus attentifs aux conditions de travail que leurs ainés, en termes de flexibilité et de télétravail. Globalement, les mouvements des collaborateurs sont de moins en moins horizontaux. La plupart sollicitent les chasseurs de têtes pour un départ en entreprise et non pour un cabinet homologue. Une tendance préexistante, mais qui s’est vraiment renforcée depuis la crise sanitaire. Pour attirer les bons profils, les cabinets d’affaires ont quasiment tous augmenté leur rémunération. Par un effet de ruissellement, ils ont été obligés de fournir des efforts. Les Américains ont commencé à ajuster leur grille de rémunération, suivis des Anglais, puis des Français. Une dizaine de cabinets - des firmes américaines (Cleary Gottlieb, Sullivan & Cromwell, Skadden Arps, etc.) et les maisons françaises (Bredin Prat et Darrois Villey Maillot Brochier) - embaucheraient désormais leurs nouvelles recrues à un montant compris entre 105 000 et 110 000 € annuel, suivi des cabinets du magic circle, Clifford Chance, Linklaters, Freshfields et Allen & Overy, à environ 100 k€. Quant à Gide, August Debouzy, Baker McKenzie ou De Pardieu Brocas Maffei, la rétrocession d’entrée se situerait aux alentours de 95 k€. Les plus petits anglais recruteraient leurs collaborateurs à 80-85 k€, suivis des cabinets mid cap français dont la rémunération serait comprise entre 65 et 85 k€. Voyant l’écart se creuser trop fortement entre leur rémunération et celles des cabinets anglo-saxons, les derniers retardataires devraient faire évoluer leur rémunération cette année. L’augmentation annuelle du collaborateur correspondrait ensuite à environ 10 % de sa rétrocession jusqu’à sa 7/8e année. Toutefois, certaines structures qui auraient récemment fourni un effort sur la rétrocession d’entrée, notamment des cabinets français, auraient ensuite limité le montant annuel des augmentations et bonus, ce qui nécessitera sans doute un ajustement dans les prochains mois. Ces rétrocessions élevées et la recherche de profitabilité entraînent une hausse des exigences des cabinets quant au travail de leurs collaborateurs. Certains ont déjà commencé à réduire le nombre d’avocats dans leur structure. « Seuls les meilleurs collaborateurs seront amenés à rester au sein de chaque cabinet, souligne Ian De Bondt. Les grands cabinets d’affaires réfléchissent depuis peu à optimiser leurs équipes, la mesure du taux d’occupation grâce au time sheet étant un bon outil pour savoir comment les resserrer ». Et Mélanie Tremblay de conclure : « Certains cabinets d’affaires vont resserrer leurs équipes pour maintenir un niveau de profitabilité élevé et cela va créer des opportunités pour les structures qui en profiteront pour attirer des équipes auxquelles elles n’auraient probablement pas eu accès auparavant. Mais les gagnants seront ceux qui capitaliseront sur leur bonne gestion en faisant des investissements stratégiques ».