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Qui sont les juristes de la French tech ?

Par Ondine Delaunay

La troisième édition de l’enquête sur les juristes de la French tech, publiée par Leeway, en partenariat avec Fed Légal et AndCo, est particulièrement dense. Au-delà de la mise en lumière d’un profil bien particulier de juristes, elle permet de saisir les enjeux auxquels seront confrontés les services juridiques en 2023.

L’année 2022 aura été celle du grand tournant pour la French tech. Si les chiffres publiés par Maddyness sont loin d’être alarmants – plus de 13 Mds€ levés en 12 mois, soit 3 Mds de plus que l’an passé – la contraction des investissements s’est d’ores et déjà faite ressentir, notamment en early stage. L’écosystème subit les effets de la crise économique mondiale et de la remontée des taux d’intérêt. L’avenir s’est un peu teinté d’incertitudes et la gestion du cash est (enfin ?) devenue un sujet pour les start up. Dans ce contexte, aucun poste n’est épargné, notamment celui des directions juridiques qui, d’après la récente étude Leeway 20231, sont près de 60 % à indiquer avoir été directement impactés par cette crise conduisant à une réduction de leur budget pour 30,4 % d’entre eux. Parmi ceux-ci, plus d’un tiers déclarent que leur budget va être amputé de 75 % ! « En 2023, les directions juridiques vont devoir faire preuve d’agilité pour permettre à leurs entreprises de traverser la tempête. Je vois cela comme une réelle opportunité de démontrer leur valeur ajoutée », lance Thibaut Caoudal, co-fondateur et COO de Leeway.

Des profils qui gagnent en maturité

Face à ces enjeux, l’enquête démontre que les juristes devront prouver que le droit peut aussi aider à développer le business. Car les services juridiques de la French tech ont largement gagné en maturité. Aujourd’hui, la part des juristes ayant travaillé en cabinet d’avocats (26,8 %) avant de rejoindre leur poste en start-up dépasse celle des juristes ayant exercé dans un grand groupe (23,5 %). Près de la moitié des sondés (43 %) sont titulaires du CAPA (contre 25 % des juristes d’entreprises, selon l’enquête menée par l’AFJE et le Cercle Montesquieu en 2020). « Beaucoup de fondateurs de start-up sont rassurés par l’idée de recruter un profil d’avocat qu’ils estiment plus autonome, capable de de travailler dans un environnement exigeant et sur des sujets complexes », analyse Audrey Déléris, legal headhunter de Fed Légal. On rappellera par exemple le récent recrutement de Juliette Loget par Ganymed Robotics comme general counsel. Elle conseillait la société depuis plusieurs années en tant qu’avocate.

Elle avait débuté sa carrière en 2006 chez Freshfields, avant de rejoindre Davis Polk en 2009 et de prendre son indépendance en 2020 (cf. LJA 1568). Le niveau de seniorité des juristes est par ailleurs en forte hausse. Plus de la moitié des juristes uniques ont entre 6 et 10 ans d’expérience. Rappelons que, dans l’enquête réalisée l’année dernière, les profils de 0 à 2 ans d’expérience représentaient les ¾ des personnes interrogées. Ils ne sont plus que 9,4 % désormais. « Certains dirigeants ont (enfin !) compris qu’un profil plus expérimenté est nécessaire s’ils souhaitent un juriste capable de gérer un maximum de sujets transverses, de challenger les avocats et d’analyser au mieux le risque pour les conseiller rapidement et efficacement grâce à leur retour d’expérience. Ces attentes sont a fortiori moins compatibles avec un profil débutant », poursuit Audrey Déléris. De façon surprenante, l’enquête révèle néanmoins que cette séniorité des profils ne s’accompagne pas d’une présence au comité de direction (66,7 % des répondants n’en font pas partie) ou au board (64,7 % des répondants n’y participent pas). « C’est une anomalie typiquement française que l’on ne retrouve pas dans les sociétés anglosaxonnes, témoigne Pierre Landy, executive mentor d’AndCo Law qui a lui-même été general counsel de Ledger et de Yahoo ! EMEA. C’est d’autant plus absurde que la plus grande critique qui est faite fréquemment aux juristes, c’est de ne pas être assez stratégiques alors qu’ils sont absents de l’organe qui décide de la stratégie de l’entreprise ! ».

Des salaires élevés

L’enquête brosse le portrait de cette population, majoritairement composée de femmes (70,6 %), âgées en moyenne de 34 ans. Plus de deux tiers des sondés (67,1 %) ont choisi de rejoindre une starup en raison de leur intérêt pour les sujets juridiques à traiter, l’environnement et la qualité de vie arrivant en deuxième position des motivations (44,6 %). Il est à noter que les perspectives financières (BSPCE, salaire, etc.) ne semblent pas une motivation (seulement 11,3 % des réponses). Pourtant l’étude révèle que la moyenne de rémunération des juristes de la French Tech est loin d’être anecdotique. Elle est estimée à 82 974 € brut annuel, soit 5,6 % de plus que la moyenne française des juristes d’entreprise évaluée à 78 512 €2 L’étude révèle une augmentation significative (+22 %) des rémunérations chez les profils ayant 6 à 10 personnes à manager. Les généralistes du droit sont les mieux rémunérés (88 583 € en moyenne contre 74 000 € pour un juriste spécialiste), démontrant ainsi l’attrait de ces entreprises en croissance pour la polyvalence permettant de gérer toute l’activité juridique générée (levée de fonds, contrats, droit des sociétés, RGPD, etc.). Près de la moitié des sondés (49,5 %) affirme ne pas avoir de rémunération variable (+3 points par rapport à l’année dernière). Pour autant, près de 66 % des juristes interrogés bénéficient de BSPCE ou d’autres formes d’actionnariat (+15 %). Le fait de lier la rémunération des juristes à la performance de la startup serait-elle en train de devenir une norme ?