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Quelle juridiction pour connaître de la responsabilité de l’arbitre ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Le tribunal judiciaire de Paris s’est prononcé, le 31 mars 2021, sur la question de la compétence de la juridiction susceptible de connaître d’une action en responsabilité d’un arbitre. Il a, dans la foulée, publié un communiqué de presse sur sa décision, qui a entraîné de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux. Explications.

Dans ce dossier, le distributeur qatari de véhicules Saad Buzwair Automotive Co avait conclu, avec une filiale d’Audi Volkswagen à Dubaï, un contrat de distribution de pièces détachées et de véhicules au Qatar. Une clause compromissoire avait été rédigée prévoyant un siège d’arbitrage à Paris, sous l’égide de la Chambre de commerce international, avec application du droit allemand. La sentence rendue le 16 mars 2016 a été attaquée devant la cour d’appel de Paris par la société Saad Buzwair, qui se fondait sur le manque d’indépendance de l’un des trois arbitres, Klaus-Albrecht Gerstenmaier. L’annuaire juridique allemand JUVE publié en 2015/2016, c’est-à-dire après le début de l’arbitrage, avait en effet mentionné que le cabinet Haver & Mailänder à Stuttgart, dans lequel ce dernier exerçait, avait représenté la société Porsche. Or, cette société est une filiale de Volkswagen.

La cour d’appel annule donc la sentence prononcée, par un arrêt du 27 mars 2018, jugeant que l’arbitre allemand n’a pas satisfait à son obligation de révélation en vertu l’article 1456 alinéa 2 du Code de procédure civile. Un pourvoi est alors formé. Il est rejeté par un arrêt du 3 octobre 2019 dans lequel la 1re chambre civile de la Cour de cassation considère qu’« il incombe à l’arbitre d’informer les parties de toutes circonstances susceptibles d’affecter son indépendance ou son impartialité survenant après l’acceptation de sa mission ».

Jusqu’ici, rien de bien nouveau. On sait que les arbitres exerçant dans des cabinets internationaux peinent souvent à démontrer leur indépendance. Ce qui en a conduit plus d’un à monter une boutique indépendante.1 Mais ce dossier ne s’est pas arrêté là. La société Saad Buzwair a entamé une action devant les tribunaux français visant à rechercher la responsabilité de l’arbitre et ainsi récupérer les frais engagés pour l’arbitrage.

Une décision expliquée par communiqué de presse

Devant le tribunal, l’arbitre a dénié que son cabinet ait été chargé de l’affaire non révélée. Mais c’est sur le plan de la compétence que cette affaire est intéressante. Car où doit-on juger de la responsabilité de l’arbitre ? La question est d’importance, à tel point que la présidence du tribunal judiciaire de Paris, qui a tenu audience publique le 9 décembre 2020, a jugé nécessaire de publier un communiqué de presse visant à expliquer sa décision.

Elle précise tout d’abord que « l’action en responsabilité de l’arbitre fondée sur la mauvaise exécution des engagements souscrits dans le cadre du contrat d’arbitre, ayant un objet distinct de l’arbitrage, ne relève pas de l’exclusion (de l’arbitrage) prévue à l’article 1er, paragraphe 2 sous d) du Règlement (CE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I bis) ». Premier enseignement de ce jugement : l’action en responsabilité de l’arbitre ne relève pas de l’exclusion de l’arbitrage prévue par le règlement Bruxelles I bis.

Il est en outre précisé que « la juridiction compétente pour connaître de cette action est […] celle du lieu où l’arbitre a effectivement et de manière prépondérante déployé son activité d’arbitre ». Le siège de l’arbitrage étant parisien, il aurait donc semblé logique que le tribunal se reconnaisse compétent. Et pourtant, tel n’a pas été le cas.

Le tribunal relève en effet que « les parties avaient au cas particulier expressément convenu que les audiences se dérouleraient en Allemagne, où avaient également eu lieu toutes les délibérations ». Il ajoute également avoir « recherché concrètement les éléments permettant de caractériser le lieu d’exécution effective de la prestation intellectuelle de l’arbitre ». C’est sur un faisceau d’indices que le tribunal s’est basé pour déduire l’intention des parties de faire de l’Allemagne le lieu d’exécution effective de la prestation de l’arbitre. La clause compromissoire du contrat n’emporte donc pas le lieu de prestation effective des activités de l’arbitre et ainsi le lieu d’examen de sa responsabilité du fait du mauvais exercice de sa mission. De quoi compliquer encore un peu plus les choses…

On rappellera que cette décision n’est pas définitive et qu’un appel a été formé devant la cour d’appel de Paris.

Les conseils du dossier devant le tribunal judiciaire de Paris

Le cabinet Veil Jourde conseillait l’arbitre, avec Emmanuel Rosenfeld et Marie d’Humières-Errera, associés.

Le cabinet Derains & Gharavi représentait la société demanderesse avec Yves Derains, Bertrand Derains et Marie-Laure Bizeau, associés.

Notes : 

1. Cf. la création de la boutique Mayer Greenberg, (cf. LJA 1484).

Veil Jourde Derains & Gharavi