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Nouvelles technologies, preuve, secret et droits de la défense

Par Anne Portmann

Lors du 13e colloque de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers, qui s’est tenu le 5  octobre 2020 au Palais Brongniart, l’épineuse question de l’exercice des droits de la défense confrontée aux nouvelles technologies a été évoquée lors d’une table ronde qui a tourné autour de la collecte des éléments de preuve en droit des affaires.

Le panel réuni pour cette table ronde a dressé le constat de l’explosion des données collectées par les différentes autorités, qui sont autant de preuves pour fonder des poursuites. Sophie Baranger, de la direction des enquêtes et du contrôle à l’AMF a ainsi confié que l’ensemble des données reçues par les marchés étaient stockées sur une plateforme de Big Data capable de recueillir d’importants volumes d’informations, structurées ou non, et de leur appliquer un grand nombre de traitements algorithmiques. « Cet accès à un lac de données permet aux contrôleurs et aux enquêteurs d’avoir une vue à 360 ° sur un instrument financier ou sur un acteur du marché », constate-t-elle, ce qui permet notamment d’effectuer les contrôles courts et ciblés de type SPOT en cas d’anomalie. Ces données permettent aux enquêteurs et aux contrôleurs d’être mieux informés sur l’objet de leur contrôle et de poser des questions plus ciblées aux acteurs du marché. Un outil développé en interne – Market Replay- permet même de rejouer une séance en Bourse pour ainsi mettre en évidence des manipulations de cours de façon précise, permettant d’aboutir éventuellement à des sanctions. Bruno Nataf, vice-procureur financier du PNF a pointé que dans le domaine du droit des affaires, où l’on ne peut recourir ni à l’ADN, ni à la vidéo, la preuve documentaire est cruciale. Il note qu’elle est en général recueillie lors de perquisitions effectuées sans l’assentiment de l’intéressé, sur autorisation du JLD. Si la loi ne donne pas d’indications sur la manière dont elles se déroulent, le magistrat indique qu’au PNF, les enquêteurs suivent quelques lignes directrices : « Nous sommes attentifs à la proportionnalité de la mesure et à la garantie du droit de la défense et du secret professionnel », assure-t-il. Mais d’après lui, il n’y a pas deux perquisitions qui se ressemblent et les enquêteurs doivent s’adapter aux circonstances particulières de l’espèce.

Saisies globales et secret des correspondances avec l’avocat

Le parquetier a soulevé une question qu’il juge essentielle : « Peut-on encore pratiquer des saisies globales ? ». En dépit de toute interdiction posée par la loi ou la jurisprudence, le PNF indique s’efforcer d’éviter le recours à cette pratique. Mais il reconnaît y être parfois contraint, le problème qui se pose étant celui des outils visant à écarter les correspondances couvertes par le secret, chaque fois différents. « Il est possible de faire un tri positif avec des mots clés, de ne saisir qu’un dossier si les documents sont correctement identifiés et regroupés, ou encore de faire un tri négatif en identifiant les éléments couverts par le secret ». Mais la plupart du temps, le tri sur place, surtout dans de grands groupes, est compliqué. « On tâtonne », confesse le magistrat, qui fait parfois appel à des experts. Sur le fond, et pour déterminer quels documents peuvent être saisis, le PNF se fonde sur un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, du 3 avril 2013, qui fixe comme limite le libre exercice de la défense. « Si elle ne relève pas de l’exercice du droit de la défense, une correspondance est saisissable, et même si on est dans ce cas, si l’avocat est impliqué, la correspondance est saisie ». Bruno Nataf reconnaît cependant que le rapport Perben a adopté une approche différente et que le sujet est « sensible ».

Techniques spéciales d’enquête

En dehors des mesures de perquisition, et notamment s’agissant du contentieux en matière d’abus de marché, le magistrat indique que depuis la loi du 21 juin 2016, qui a porté les peines encourues en la matière à cinq ans de prison, les enquêteurs recourent désormais aux techniques d’enquête spéciale permises par le code de procédure pénale comme la sonorisation, la géolocalisation, la saisie à distance des documents électroniques, ou encore la consultation de fadettes. À cet égard, Bruno Nataf soulève la question du conflit qu’il peut y avoir entre les droits de la défense et celui du droit au secret de la vie privée lorsqu’un avocat réclame la communication de documents qui concernent également un autre mis en cause. « En pareil, cas, nous refusons », indique-t-il. Salvator Erba, sous-directeur du contrôle auprès de l’AFA, précise quant à lui que lors des contrôles, rares sont les occasions de percuter le secret de l’avocat. « Nous demandons rarement la communication de pièces élaborées dans le cadre d’une mission de défense », résume-t-il, assurant que son autorité est davantage confrontée au secret des commissaires aux comptes, qui lui est souvent opposé et au secret bancaire, presque toujours levé. L’Autorité anti-corruption a elle-même la culture du secret, puisqu’elle s’interdit de communiquer à des tiers les rapports de contrôle sur les entreprises.

L’avocat Éric Dezeuze, qui s’est félicité de l’apparition de nouveaux outils comme la plateforme PLEX permettant d’échanger d’importants volumes de documents entre avocats et autorités de poursuite, a cependant tenu à avertir des risques liés aux moyens des cabinets d’avocats. « Si certains disposent d’outils pour permettre la recherche dans les données envoyées par les autorités, ce n’est pas le cas de tous les cabinets d’avocats ».

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