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Les juristes peuvent-ils sauver le monde ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Lundi 6 décembre 2021, se tenait la première édition du Paris Legal Makers Forum, un espace de rencontre qui avait pour ambition de rassembler l’ensemble des professions juridiques, pour prendre de la hauteur et imaginer les règles de droit de demain qui façonneront l’économie globale. Récit.

C’est le bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, qui a ouvert la première édition de cette manifestation qu’il a souhaitée, constatant sa propre tendance pendant son mandat à se centrer sur les avocats et le judiciaire, alors même que beaucoup d’autres personnes « font du droit » et alors que, paradoxalement, plus de 70 % de l’activité des avocats parisiens est tournée vers le conseil et non vers le judiciaire. Et faire du droit, faire le droit, n’est pas l’apanage du seul barreau, puisque cette capacité existe partout où se créent des règles : dans les entreprises, administrations, cabinets, etc. Olivier Cousi, qui souhaite que ce rendez-vous se renouvelle à l’avenir, a appelé tous ces faiseurs de droit à se rassembler pour élaborer ensemble des règles communes, qui seront respectées par tous. « Le droit a besoin de pédagogie pour être partagé » a-t-il lancé, constatant qu’en l’état actuel, les juristes seraient encore davantage sollicités pour écrire la règle, la diffuser et la faire respecter. À cet égard, il estime que Paris, carrefour des cultures qui accueille beaucoup de nationalités différentes, est une place idéale.

De la responsabilité sociétale des juristes

Avant les ateliers de l’après-midi, respectivement consacrés à l’économie, l’environnement, la technologie et la société, de grands témoins se sont succédé au pupitre, venus chacun donner leur définition de ce que signifie « faire le droit ». Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de la République française, a fait part, dans une vidéo diffusée à l’auditoire, de l’importance stratégique du droit et de la défense des valeurs européennes, dans un contexte de remise en cause du droit international. « Sous l’impulsion de la France, la capacité normative de l’Europe peut s’imposer » a estimé le ministre, évoquant notamment le projet de directive sur le devoir de vigilance inspiré par la loi française. « Nous pouvons écrire les normes qui régiront le monde de demain » a-t-il conclu, soulignant que la stratégie d’influence par le droit était devenue une des priorités de la diplomatie française.

Le commissaire européen à la justice, Didier Reynders, ancien avocat, a ensuite pris la parole, indiquant que les trois domaines privilégiés de l’action européenne qui faisaient écho aux présents débats étaient les travaux sur l’État de droit, ceux sur la numérisation de la justice, destinés à la rendre encore plus accessible aux citoyens européens et ceux sur la protection de l’environnement grâce au droit pénal. Le commissaire européen a appuyé sur le premier sujet, évoquant les sanctions prises contre la Pologne et la Hongrie. « Il faut prendre conscience de ce qu’une régression de l’État de droit dans un État membre est une régression de toute l’Europe. Nous portons le message sur l’État de droit en dehors des frontières de l’Union européenne », a-t-il déclaré. Sandie Okoro, vice-présidente et general counsel de la Banque mondiale, s’est exprimée en langue anglaise sur l’importance de la règle de droit, vecteur d’égalité et de progrès en ces temps troublés. « Rappelez-vous pourquoi vous avez voulu devenir juristes ! », a poursuivi Nassib Abou-Khalil, directeur juridique de Nokia, interpellant l’auditoire sur l’importance du rôle du juriste, moteur du changement. « Nous ne devons plus agir comme de simples conseillers juridiques, ou comme de simples partenaires commerciaux, cela ne suffit plus. Nous devons désormais penser à long terme, prendre des décisions difficiles, donner des conseils impopulaires et faire, tout ce qui est en notre pouvoir, pour influencer le progrès au sein de nos entreprises et de la profession juridique », martèle l’homme qui s’efforce de mettre en œuvre plusieurs programmes pour l’inclusion et la diversité dans sa société. Stacey Friedman, general counsel et vice-présidente de la banque JP Morgan, qui vient d’agrandir ses locaux parisiens, a clôturé la matinée, soulignant, à l’unisson des intervenants précédents, combien le rôle de la loi dans l’économie globale était devenu prégnant.

En clôture de cette journée, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, qui intervenait en vidéo a déclaré, saluant l’initiative du bâtonnier : « Il nous appartient de faire évoluer notre droit et de proposer des solutions innovantes ». Bernard Cazeneuve, intervenu quelques instants auparavant, a quant à lui estimé que le droit était devenu un outil de résilience face aux crises, permettant de réguler, prévenir, réparer et anticiper.