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Le PNF publie la synthèse de son action en 2021

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Le Parquet national financier (PNF) vient de dévoiler la synthèse de son activité en 2021. L’occasion pour Jean-François Bohnert, procureur de la République financier près le tribunal judiciaire de Paris, de dresser l’état des lieux de cette jeune institution judiciaire, permettant de mieux comprendre le champ de son action.

Le PNF n’a pas chômé en 2021. Il se félicite d’ailleurs, dans son rapport publié depuis quelques jours, des résultats significatifs obtenus tout au long de l’année devant le tribunal correctionnel de Paris. Au 1er décembre 2021, huit jugements correctionnels ont été prononcés (dont celui de l’affaire Bismuth) et un 9e est en délibéré (procès des sondages de l’Élysée). Par ailleurs, douze comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) individuelles ont été homologuées dans huit dossiers différents, trois conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP) ont été conclues et validées, ainsi que deux compositions pénales dans un même dossier.

Depuis sa création en 2014, le montant total des sommes prononcées en faveur du trésor public s’élève à 10,178 Mds€. Dans le détail, dans les procédures terminées en 2021, les sommes s’élèvent à 173,1 M€ (au 1er décembre 2021), contre 2 240,3 M€ en 2020 et 5730 M€ en 2019.

Force est donc de constater la chute libre du montant des amendes prononcées. Est-ce à croire que les entreprises sont toutes devenues vertueuses ?! Est-ce un effet de la pandémie qui aura freiné la capacité des enquêteurs ? Ou l’une des conséquences du changement de direction à la tête du PNF ? La suite pourrait d’ailleurs être dans la même veine, puisque l’année 2021 s’est refermée sur une réforme législative qui risque de compliquer, encore un peu plus, l’action du PNF. Adoptée définitivement par le Parlement le 16 novembre, la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire inscrit, dans le code de procédure pénale, la réduction de la durée des enquêtes préliminaires. Celles-ci sont dorénavant limitées à une période de deux années, prolongeable d’une année sur autorisation du procureur de la République. Toutefois, en conformité avec une proposition du PNF, le parlement a adopté une disposition permettant de décompter de la durée des enquêtes préliminaires la période pendant laquelle des demandes d’entraide pénale internationale auront été engagées à l’étranger. « Si cette réforme aura, à l’évidence, un impact majeur sur la conduite par le PNF de l’action publique dans les affaires de sa compétence (84 % de ses enquêtes sont menées en la forme préliminaire), il est à craindre une répercussion encore plus contraignante pour les services d’enquêtes de police, de gendarmerie, de finances et de douanes, déjà passablement surchargés et qui devront à l’avenir soutenir un rythme d’activité inconnu à ce jour et incompatible avec l’état actuel de leurs effectifs », indique Jean-François Bohnert.

L’action du PNF

Sur les 636 affaires encore en cours – contre 601 l’an dernier, et 211 en 2014 –, 50 % visent des faits d’atteinte à la probité et 43 % sont dédiées au traitement pénal de la fraude fiscale aggravée (atteintes aux finances publiques), tandis que 6 % d’entre elles concernent des abus de marché et 1 % une entorse au droit de la concurrence. Le rapport précise que, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 21 juin 2016, environ 70 demandes d’aiguillage en matière d’abus de marché ont été formulées, en majorité par l’AMF, et aucune n’a nécessité la saisine du procureur général près la cour d’appel de Paris en raison d’un désaccord sur l’orientation des poursuites.

À l’occasion de son rapport annuel consacré aux évolutions législatives, enquêtes et décisions judiciaires relatives à la délinquance financière, Allen & Overy a décrypté les décisions du PNF, concluant à une pénalisation des manquements en matière d’ESG. « Le PNF conduit ainsi des enquêtes ouvertes des chefs de recel de crimes contre l’humanité et pratiques commerciales trompeuses à l’encontre de plusieurs multinationales accusées d’avoir violé leurs engagements éthiques, du fait du sort réservé aux Ouïghours par certains fournisseurs chinois », indique le rapport. Poursuivant, il indique qu’une étape a sans doute été franchie avec la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 7 septembre 2021, validant la mise en examen d’une personne morale (Lafarge SA) pour complicité de crime contre l’humanité, dans une affaire dans laquelle il lui était reproché d’avoir versé des sommes d’argent à des membres de Daech en Syrie. « N’exigeant pas que la personne morale ait adhéré à la conception ou à l’exécution d’un plan concerté, la Cour de cassation a appliqué à cette dernière un raisonnement fondé sur le droit commun de la complicité, ce qui, par-delà le cas particulier de cette affaire, doit inviter les grands groupes à réfléchir toujours davantage aux conditions de leurs développement et investissement à l’international », prévient le rapport de la firme du Magic Circle.

Au rang des perspectives nouvelles ouvertes par l’année 2021, le rapport du PNF relève notamment la mise en route opérationnelle du Parquet européen, basé à Luxembourg, le 1er juin dernier. Les quatre procureurs européens délégués (PED) français ont vu ainsi transférer, à leur profit, deux dossiers en cours au PNF et relevant de leur champ de compétence, outre les affaires dont d’autres parquets territoriaux se sont dessaisis à leur intention. Plutôt modeste, ce chiffre s’explique toutefois par une contrainte juridique incontournable : instauré par le Règlement européen du 12 octobre 2017, le Parquet européen ne peut connaître que de faits commis depuis novembre 2017. Pour autant, d’après le rapport, les premiers mois de coopération avec ce parquet réunissant 22 États membres de l’Union européenne « permettent d’ores et déjà de dresser un bilan positif et encourageant pour l’avenir ».

Soulignons également la nouvelle compétence du PNF, attribuée par la loi du 24 décembre 2020, relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale, pour les délits prévus à l’article L. 420-6 du code de commerce, concernant les atteintes en matière de concurrence. Cet article dispose qu’« est puni d'un emprisonnement de quatre ans et d'une amende de 75 000 € le fait, pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-2-2 ». Ces pratiques, qui sont qualifiées d’anticoncurrentielles, concernent essentiellement des infractions d’entente illicite, d’abus de position dominante et d’exploitation abusive d’un état de dépendance économique.

Une véritable expertise en matière de justice transactionnelle

S’agissant plus particulièrement de la procédure de CJIP, ce ne sont pas moins de quatorze qui ont été conclues et validées sur l’ensemble du territoire national en seulement cinq ans d’existence, dont neuf conclues par le PNF. À titre d’exemple, la validation de la CJIP concernant les sociétés Bolloré SE et Financière de l’Odet SE pour un montant de 12 M€ le 26 février 2021, de celle relative à la société Systra pour un montant de 7,496 M€ pour des faits de corruption d’agent public étranger le 13 juillet, ou encore celle concernant JP Morgan pour un montant de 25 M€ (procédure relative à des faits de complicité de fraude fiscale) le 2 septembre. « Ces résultats ont été rendus possibles par l’évolution récente des effectifs du PNF, progressivement diversifiés et renforcés, en particulier au cours des trois dernières années, indique Jean-François Bohnert. Diversifiés, grâce au recrutement de magistrats aux profils plus internationaux, disposant de parcours enrichis par des passages en administration centrale ou par une carrière antérieure dans le secteur privé, sans négliger le recrutement extérieur à la seule région parisienne. Renforcés, car ces effectifs ont été régulièrement revus à la hausse depuis 2014, le PNF ayant bénéficié d’une nouvelle création de poste en 2021, portant désormais ses effectifs à 18 magistrats. » Si chacun suit en moyenne 90 dossiers, ces magistrats travaillent en binôme sur les dossiers dont ils ont la charge et se rendent ensemble à l’audience dans les affaires les plus complexes.

Par ailleurs, six assistants spécialisés collaborent avec les magistrats du PNF, avec en outre le concours d’un juriste assistant, spécialisé en matière de saisie et de confiscation d’avoirs délictuels. Leur expertise des mécanismes économiques et juridiques susceptibles d’être mis en œuvre, du traitement des données économiques sensibles à la gestion d’enquêtes collaboratives avec les entreprises en cause dans le cadre, notamment, de la mise en œuvre de CJIP, en ont fait des acteurs particulièrement efficaces dans le traitement des affaires de corruption transnationale. « À ce titre, il paraît indispensable de faire évoluer le statut des assistants spécialisés pour davantage internaliser au parquet une partie des investigations économiques et financières. Nos marges de progression passent, aussi, par une telle réforme, poursuit le procureur de la République financier. À cette nécessité, s’en ajoute une seconde, celle d’adapter notre conduite de l’enquête dans certains territoires particulièrement exposés. » Dans cette perspective, le parquet national financier a récemment expérimenté un modèle d'opération consistant à mobiliser un maximum de ressources composées de magistrats, d'enquêteurs et d'assistants spécialisés pour réaliser, sur un temps très court, et sur site, les principaux actes d'enquête (perquisitions, exploitations et auditions) et permettre ainsi d'éventuelles poursuites dans un délai raisonnable. 

Parquet national financier (PNF)