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La conquête de l’indépendance du juge d’instruction

Par Anne Portmann / Photo : Adobe Stock

À l’occasion de la sortie du livre de Renaud Van Ruymbeke, « Mémoires d’un juge trop indépendant », paru aux éditions Tallandier, Sciences Po Alumni organisait un débat entre l’ancien magistrat et l’avocat Antonin Lévy, animé par Christophe Graveraux et Jean-Louis Magnier, respectivement président et vice-président du groupe professions juridiques, libérales et de conseil au sein de Sciences Po Alumni. Compte rendu.

Cette rencontre était l’occasion de retracer la carrière du célèbre Renaud Van Ruymbeke, mais aussi de s’interroger sur le statut du juge d’instruction, ainsi que sur ses rapports avec les magistrats du parquet qui semblent vouloir, à leur tour, conquérir leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif.

S’émanciper de l’exécutif

Renaud Van Ruymbeke a pris la décision de retracer sa carrière dans un livre, convaincu par un ancien magistrat du parquet de l’intérêt d’expliquer la transition qu’il avait connu vers l’indépendance et comment la justice pénale s’était émancipée à cette occasion. « Lorsque j’ai débuté, les affaires financières étaient, disons-le, étouffées », a confié l’ancien magistrat. Aujourd’hui, ce genre de privilège n’a plus cours selon lui, même si des manipulations sont toujours possibles. « Il y a toujours un moment où les affaires sortent. » Antonin Lévy a d’ailleurs rendu hommage au combat du juge pour sortir des « années de plomb », regrettant ce magistrat qui accordait de l’importance au dialogue, tant avec les avocats qu’avec les mis en cause eux-mêmes. « Votre départ a laissé un vide à l’instruction financière », a-t-il déploré. Il a questionné l’ancien juge d’instruction sur la solitude de sa fonction, la nécessité qu’il a eu, parfois, de ne révéler ses actes qu’au dernier moment à ses auxiliaires et même à ses enquêteurs. Comme lorsqu’il a perquisitionné le siège du Parti socialiste dans le cadre de l’affaire Urba. À ce sujet, l’ancien magistrat a reconnu qu’il a dû apprendre à travailler en équipe, racontant sa difficulté à ne pas connaître une affaire dans son ensemble « Aujourd’hui, 98 % des réponses pénales sont apportées par les parquets dans le cadre d’enquêtes préliminaires ou de flagrance, l’indépendance n’existe pas pour eux », a-t-il observé, pointant l’énième réforme de l’enquête préliminaire annoncée par le garde des Sceaux qui ne s’en soucie guère. « Sans indépendance, on pourra faire ce que l’on veut du procureur », a renchéri l’avocat.

Dressant, comme Antonin Lévy, le constat du rôle croissant du Parquet, l’ancien magistrat considère que si ce dernier a pris, de fait, son indépendance, aucune réforme n’a été promulguée. « La véritable réforme serait de rompre le lien entre le garde des Sceaux, qui fait sa carrière, et les procureurs. » Les pouvoirs de nomination seraient alors transférés au CSM dont la composition devrait être revue pour intégrer davantage de personnalités extérieures. « Un corps ne peut pas s’autogérer », a-t-il lancé. Il a regretté que les enquêtes soient confiées au Parquet par souci apparent d’efficacité, alors que la majorité des affaires complexes, passent de toute façon par l’instruction. « Il est difficile de mener une affaire complexe sans contradictoire, car le dialogue avec les mis en cause et leurs avocats permet d’éclairer le dossier. »

Paradis fiscaux et corruption

Dans cet ouvrage, aucune révélation, aucune violation du secret de l’instruction. Renaud Van Rumbeke s’appuie sur des affaires dont les éléments ont été rendus publics et sur des sources ouvertes. Il témoigne surtout de sa pratique et de son travail d’instruction, s’agissant notamment de la traque d’argent sale à l’international, son exploration des circuits d’argent off-shore. « Il y a à l’étranger des milliers de milliards auxquels personne ne touche tandis que les États s’endettent. Pourtant l’argent est là, à nos frontières. » Le livre consacre ainsi trois chapitres aux paradis fiscaux et son auteur préconise notamment de faire « le ménage en Europe », en instaurant par exemple une taxation unique sur le vieux continent pour endiguer la fraude. Il recommande aussi de se doter d’institutions fortes, capables de mettre en œuvre la transparence. Interrogé durant la conférence sur les CJIP, Renaud Van Ruymbeke a salué leur efficacité et leur caractère dissuasif, tout en précisant qu’un procès a des vertus que ne peut substituer un accord. « Sanctionner une entreprise c’est aussi sanctionner ses salariés », a-t-il observé, relevant qu’outre la problématique posée pour les dirigeants, l’amende infligée à la personne morale peut également créer du chômage dont pâtiront les employés.

Du secret et des fuites

Selon l’ancien magistrat, l’émancipation de la justice commande de réformer le secret de l’instruction. Il a d’ailleurs rappelé qu’avant 1997, l’avocat ne pouvait être soupçonné de faire fuiter le dossier puisqu’il n’y avait pas accès. « Aujourd’hui, il y a une forme d’hypocrisie. Le secret de l’instruction devrait sauter dès lors que l’on peut avoir accès au dossier. » Antonin Lévy s’est interrogé sur le secret lors des enquêtes préliminaires en rappelant que 48 heures après l’interrogatoire par le PNF des époux Fillon, dont il assurait la défense, leurs propos avaient fuité dans la presse. « Quelques années plus tard, nous avons appris que ces fuites ne venaient pas des magistrats, dont l’enquête aurait été perturbée par ces fuites, mais de remontées d’informations, qui étaient censées ne plus exister, le long de la chaîne de l’exécutif. » Ces remontées d’informations nominatives, normalement interdites, auraient toujours cours pour permettre à l’exécutif de conserver « une part de contrôle sur les affaires sensibles ».

Antonin Lévy Jean-Louis Magnier Renaud Van Ruymbeke Christophe Graveraux