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Grand oral de l’AFJE : les juristes méritaient mieux

Par Anne Portmann

Mercredi 16 mars 2022, l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) a réuni ses membres et des invités, à l’occasion de son assemblée générale. Par la suite, elle a reçu les représentants des candidats à l’élection présidentielle pour une table ronde au cours de laquelle ils ont exposé leurs projets de réforme. Des débats qui se sont révélés décevants.

Le président sortant de l’AFJE, Marc Mosse, après avoir laissé la parole au président désigné, Jean-Pierre Gille a endossé son costume de modérateur pour recevoir les représentants des candidats à l’élection présidentielle. L’AFJE avait bien fait les choses. On se souvient, en effet, que dès le mois de janvier 2022, elle avait mis en place sa plateforme présidentielle, portant sur les grands enjeux du droit pour les générations futures. Des propositions avaient été faites (5 idées pour 5 années) et les équipes de campagnes interpellées sur les sujets qui comptaient pour les juristes d’entreprises. Dès lors, on s’attendait à ce que les représentants des candidats s’adressent à l’auditoire de ce « Grand Oral » sur des sujets qui le préoccupent vraiment.

Quatre représentants

Sur les six représentants annoncés des candidats, seulement quatre d’entre eux ont pu dérouler leur discours. Barbara Romagnan, qui représentait Yannick Jadot, ne s’est jamais présentée. Caroline Mécary, représentant Jean-Luc Mélenchon, avait fait le déplacement mais, souffrant d’une sévère extinction de voix, elle n’a pas pu s’exprimer et a été contrainte de renvoyer au programme détaillé sur le site du candidat. C’est le représentant de Marine Le Pen, l’ancien magistrat et député européen Jean-Paul Garraud, qui a ouvert le bal des présentations générales, limitées à une durée de sept minutes. En dehors d’une allusion, au début de son discours, sur le fait que les juristes d’entreprise méritaient davantage de reconnaissance, il a axé sa présentation sur la nécessaire restauration du service public de la justice, cause d’insécurité, et annoncé des recrutements massifs de magistrats, le retour des tribunaux d’instance et des réformes de codification importante. L’avocat et ancien magistrat Hervé Lehman, qui représentait Valérie Pécresse, a également fait part de la préoccupation de sa candidate pour les moyens de la justice, indiquant que le budget de l’institution serait augmenté de 50 % et que 3 000 juges, 2 000 procureurs et 2 000 greffiers seraient recrutés en cas de victoire. La candidate des Républicains souhaite aussi lutter contre « l’intempérance normative » et réserver la réponse pénale aux comportements malhonnêtes et dangereux, afin d’en finir avec la sanction pénale systématique des règles relatives à l’entreprise. L’avocat Jérémie Michel, représentant d’Éric Zemmour, a dit l’ambition de ce dernier d’utiliser le droit au service de la compétitivité économique et de lutter contre l’extraterritorialité. « Nous avons un devoir de puissance, or, il n’y a pas de puissance sans souveraineté », a indiqué l’avocat, qui veut mettre fin à la surtransposition des normes européennes et estime que les entreprises françaises ne doivent pas être « cornaquées » par des règles de conformité dictées par des puissances étrangères. C’est la représentante d’Emmanuel Macron, l’ancienne garde des Sceaux Elisabeth Guigou, qui a finalement le plus parlé d’eux aux juristes d’entreprise. Elle a souligné l’importance du rôle de ceux qui étaient, en première ligne, confrontés aux grands défis actuels des révolutions numériques et écologiques. Elle a reconnu que le droit des entreprises doit évoluer, sans pour autant nourrir l’obésité législative. Et même si son candidat ne devait dévoiler son programme que le lendemain, elle a assuré que, s’il était réélu, il poursuivrait et amplifierait l’effort budgétaire en direction de la justice.

Trois questions

Marc Mossé a ensuite essayé de recadrer le débat, en posant aux représentants des candidats trois questions plus précises. Hervé Lehman a, pour sa part, estimé que la confidentialité des avis des juristes d’entreprise était, malheureusement selon lui, un objectif de plus en plus lointain à l’ère de la transparence et des lanceurs d’alerte. Elisabeth Guigou a rappelé que le rapport Gauvain était le7e sur le sujet et que la question n’était toujours pas résolue, mais observait l’atténuation de certaines résistances chez les magistrats. Jérémie Michel a qualifié la situation actuelle d’ « ubuesque »et considéré qu’il s’agissait d’un sujet de souveraineté, alors que Jean-Paul Garraud s’est contenté de noter que le débat, malgré les années, n’était toujours pas tranché. Sur le sujet d’un code européen des affaires, en dehors de Jean-Paul Garraud, qui rejette la primauté du droit européen, tous les représentants des candidats y sont favorables, mais soulignent l’ampleur du travail à accomplir. « Il faut attaquer le sujet sur quelques thématiques spécifiques, comme le RGPD, la régulation des Gafam, ou la société européenne »,estime Elisabeth Guigou. « Une approche globale n’aurait pas de sens », renchérit Jérémie Michel. Enfin, sur l’enseignement du droit dès le second cycle, le représentant d’Éric Zemmour s’y oppose, indiquant que la priorité porte sur la maîtrise des fondamentaux. Les autres candidats y sont favorables, sans toutefois aller jusqu’aune épreuve au bac. 

Jean-Philippe Gille
Le directeur juridique gouvernance et conformité du groupe Lactalis, vice-président, est appelé à succéder à Marc Mossé à la tête de l'AFJE. Il n’entrera en fonction qu’au départ du président sortant. Dans son discours de présentation, le président désigné, qui a rejoint l’association dans les années 1990, a souligné l’évolution remarquable de la profession en cinquante ans et la place essentielle de l’écosystème du droit dans la vie des affaires. Il a listé les quatre défis auxquels seront confrontés les juristes : accompagner les initiatives visant à restaurer le service public de la justice, appréhender les enjeux de l’extraterritorialité, prendre en compte les questions environnementales et RSE, et veiller à la préservation des droits fondamentaux dans le traitement des données.

 

 

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