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Focus - Naissance de l’Observatoire mondial des indicateurs du droit

Par Anne Portmann

Le 10 novembre 2023, a été officiellement lancé l’Observatoire mondial des indicateurs du droit (OMID), qui a pour ambition d’agréger et d’harmoniser l’ensemble des indicateurs publiés chaque année dans le domaine juridique, pays par pays. Il rassemble à ce jour plus d’un millier d’indices divers.

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et observatoire est l’œuvre du professeur Bruno Deffains, enseignant-chercheur à l’université Paris II Panthéon-Assas, et de Romain Espinosa, chargé de recherches au CNRS. Avec l’aide de stagiaires, ils travaillent depuis plus de deux ans à élaborer une plateforme recensant l’ensemble des indicateurs en rapport avec le droit qui sont publiés par différents organismes. « Aujourd’hui, on dit que ce qui ne se mesure pas, n’existe pas, observe Bruno Deffains. Or, le droit ne se mesure pas ». Il y a bien des statistiques, mais elles n’apportent qu’une mesure quantitative. Pour les compléter, l’observatoire rassemble des données, en général construites dans le but de démontrer l’attractivité économique d’un système juridique plutôt que d’un autre, à l’image du rapport « Doing business » et des indicateurs apparus dans son sillage. « Comme si un indicateur juridique devait aussi être un indicateur économique », regrette Bruno Deffains, qui appelle à dépasser ce stade et à prendre également en compte les dimensions sociale et environnementale de la règle de droit, éléments qui préoccupent de plus en plus les acteurs économiques aujourd’hui.

Un indicateur des indicateurs

Les fondateurs n’ont pas souhaité créer un nouvel indicateur, qui s’ajouterait aux milliers déjà existants, mais ont voulu synthétiser ce qui pouvait l’être au sein d’une plateforme, basée essentiellement sur des données publiques accessibles, qui représentent les trois quarts des données disponibles. « L’outil ne prend pas en compte certains indicateurs payants à ce stade », précise Bruno Deffains. La plateforme internet regroupe au total 1 008 entrées, dans 85 domaines du droit, analysés par des organismes spécifiques. « Par exemple l’indicateur Rule of Law est composé d’une dizaine de sous-indicateurs », explique-t-on. Certains sont anciens et existent depuis les années 1990. La plateforme les répertorie depuis l’origine et les fondateurs ont tenu à saluer, dans leur discours, les étudiants, qui pendant deux ans, les ont aidés à saisir les données et à les normaliser. Un lourd travail a en effet été conduit pour harmoniser, autant que possible, les unités de mesure choisies, afin que les indicateurs soient comparables. « Nous avons choisi d’établir des scores de 0 à 100 », poursuit le professeur.

Pour ce qui est de la présentation, l’équipe a voulu éviter les tableaux Excel rébarbatifs et propose une cartographie, qui permet de choisir l’indicateur, l’année sélectionnée et de comparer les pays. « C’est un véritable outil de visualisation et de décision, qui peut permettre d’identifier les points forts ou faibles des pays », estiment les créateurs. Outre cette cartographie, le site présente un annuaire de l’ensemble des indicateurs pris en compte, afin de permettre à l’utilisateur de comprendre leur origine, leur contenu et la méthodologie employée.

Romain Espinosa explique que le monde des indicateurs est un véritable écosystème vivant, avec certains qui disparaissent et d’autres qui naissent au gré des volontés politiques. « Les pays ont tendance à créer des indicateurs sur leurs points forts, il est donc aussi intéressant d’observer quels sont les indicateurs qui n’existent pas », note-t-il.

« Cet observatoire est un point de départ et doit s’inscrire dans la durée », observe Bruno Deffains, qui se félicite que la France soit pionnière en la matière et s’étonne de ce que la Banque mondiale n’ait pas encore créé un outil similaire. La plateforme est bien entendu disponible en anglais et, outre sa vocation d’aide à la décision, elle sera également un support d’analyses et de réflexions sur la matière juridique. Ainsi, une étude sur l’inégalité, fondée sur ce nouvel outil, a déjà été remise à la Fondation du droit continental. Les indicateurs collectés démontrent que l’évolution mondiale reste dominée par la conception juridique nord-américaine, qui a tendance à privilégier le prisme économique. Bruno Deffains espère que le recours à la nouvelle plateforme permettra de nuancer le paysage mondial actuel en y apportant de la diversité.

À noter qu’une autre étude est en préparation, sur les performances financières des entreprises en fonction de leur origine.

Promouvoir le droit continental
et faire rayonner la France

Lors de la table ronde qui suivait la présentation de la plateforme, les différents intervenants ont souligné l’importance de l’outil, qui s’inscrit parfaitement dans la stratégie d’influence par le droit initiée par les pouvoirs publics. Joanna Gorayeb, représentant le ministère de la Justice, a souligné que les questionnaires adressés au ministère sont souvent très orientés. Par exemple, si les études sur les registres publics comportent des questions sur la numérisation ou la souplesse des procédures de modification, ils n’abordent pourtant jamais le thème de la sécurité juridique, qui est justement l’une des forces du droit français. De même, sur la thématique des procédures collectives, nombre d’indicateurs ne se préoccupent pas des procédures de prévention, très développées dans l’hexagone. Selon elle, cette nouvelle plateforme permettra de contrer une certaine tendance au « French bashing » et de se consoler en se comparant. « C’est aussi un outil précieux pour éclairer les décideurs politiques et les acteurs publics », a-t-elle conclu. Lionel Galliez, président de l’Union internationale du notariat (UIN), n’a pas caché qu’il aurait bien voulu disposer d’un outil similaire, lorsqu’il est allé rencontrer la Banque mondiale, à l’occasion de la parution du premier rapport « Doing Business » [remplacé cette année par le rapport B-Ready, à paraître, à la suite de la mise en cause de sa fiabilité, ndlr], lequel ne prenait pas suffisamment en compte, dans son classement, la notion de sécurité juridique. « Un indice est certes un moyen de mesure, mais c’est aussi un moyen de pression », a-t-il estimé, rappelant qu’il convient d’examiner la façon dont ils sont produits, car il existe toujours des biais, visibles ou non. Le président a d’ailleurs annoncé son intention de promouvoir cet outil auprès des 91 pays membres de l’UIN.

« Nous allons promouvoir l’intelligence juridique grâce à l’Observatoire », espère Bruno Deffains, qui se souvient d’une phrase terrible, prononcée par un universitaire, qu’il ne nommera pas, lors de la chute du mur de Berlin, à propos de la venue des juristes nord-américains dans les pays de l’ancien bloc de l’Est. « Ce n’est pas grave, on va leur laisser le monde des affaires et on va s’occuper des droits fondamentaux », avait lancé ce professeur. « Nous avons la capacité de faire interagir l’économie et le juridique », considère au contraire Bruno Deffains, qui ajoute que l’environnement juridique est un enjeu majeur pour l’économie et que cet aspect a malheureusement trop été laissé de côté sur le vieux continent. « Nous avons d’abord construit une Europe politique avant de construire une Europe économique. Le droit demeure encore un frein aux échanges économiques intracommunautaires et il faut être lucide sur ce point ».