Focus - Le travail de l’avocat au tamis de l’IA
À l’occasion de la grande rentrée des avocats, qui a eu lieu le jeudi 11 septembre 2025 à la Maison de la Mutualité à Paris, le Conseil national des barreaux (CNB) a présenté les résultats des trois premiers volets de l’enquête sur l’IA et les avocats, réaliséepar l’Observatoire de la profession d’avocat avec l’institut Viavoice. Synthèse.
C’est le grand témoin de cette journée, l’avocat et président du CCBE Thierry Wickers qui a, avant la présentation des résultats de l’étude menée par le CNB, révélé la conséquence la plus importante, pour les relations entre les avocats et leurs clients, de l’essor de l’intelligence artificielle : « Le premier usage de l’IA par les clients est la vérification du travail de l’avocat ». Conséquence implacable, selon le professionnel : la prestation juridique perd son statut de bien de confiance et peut désormais être évaluée, à l’aune de la machine. C’est donc de ce nouveau ménage à trois (le client, l’avocat et la machine) que cherchaient à scruter les débateurs de la deuxième plénière de cette grande rentrée, à la lumière des résultats de l’étude qui étaient dévoilés. Thomas Genty, qui représentait l’institut Viavoice, a rappelé que les enquêtes ont été menées, l’une auprès des clients d’avocats, particuliers et entreprises et l’autre auprès des professionnels. Les études quantitatives ont été complétées par des entretiens individuels. Environ 4 500 réponses ont été obtenues du côté des avocats, ce qui en dit long sur l’importance du sujet.
Vérifier le travail de l’avocat
Quelque 48 % des clients particuliers de l’avocat utilisent l’IA dans un contexte juridique et, en très grande majorité (52 %), pour mieux comprendre leur dossier. Parmi eux, 48 % souhaitent contribuer à régler leur problème grâce à l’IA. « À l’instar de ce que l’on voit en matière de santé, cela leur permet d’être acteurs de leur défense », constate le statisticien. Il confirme l’observation de Thierry Wickers révélant qu’en effet 41 % des personnes interrogées vérifient la réponse de l’avocat avec l’IA.
Les clients particuliers sont plus nombreux à faire confiance à la machine, les professionnels étant plus circonspects (seulement 43 % l’utilisent dans un contexte juridique). Les fonctions juridiques des entreprises restent parmi les moins utilisatrices de ces outils, en raison d’une vigilance accrue sur les risques d’erreurs ou de confidentialité.
Côté avocats, 62 % utilisent l’IA dans un contexte professionnel et 32 % s’en servent régulièrement. Quelque 23 % utilisent uniquement des IA généralistes, 21 % uniquement des IA spécialisées en matière juridique tandis que la moitié utilisent les deux à la fois. ChatGPT restant le premier outil d’IA utilisé…
Hélène Laudic-Baron, vice-présidente du CNB, pointe qu’il n’est certes pas nouveau pour les avocats de faire face à un client qui a déjà effectué des recherches, mais que l’IA propose une nouvelle manière de rechercher l’information, de manière précise, appliquée à leur cas et plus défiant pour le conseil. On se rassurera toutefois avec le faible pourcentage de personnes qui pensent que l’avocat peut être remplacé par l’IA, même si les quatre tâches de ce professionnel identifiées par l’étude - à savoir vérifier, contextualiser, défendre et rassurer - peuvent être améliorées grâce à l’IA, pensent les personnes sondées. Simon Lambert, président de l’Observatoire du CNB, estime de son côté que l’étude réalisée auprès des avocats montre qu’ils ont conscience de l’impact de l’IA sur leur façon de travailler, à la fois sur leurs structures d’exercices et sur leurs méthodes.
Diminution des coûts et transparence
Il existe, bien entendu, une forte attente des clients relative à la réduction des coûts. Quelque 46 % des clients particuliers estiment que les avocats vont devoir baisser leurs tarifs, et 36 % des avocats pensent devoir le faire à court ou moyen terme. Les professionnels, s’ils constatent qu’ils ne peuvent évidemment plus facturer du temps de recherche comme auparavant, objectent cependant que les outils d’IA ont un coût qui devra être répercuté.
Est-ce pour autant la mort du modèle de facturation au temps passé ? C’est ce que pense Simon Lambert. Le CNB envisage d’ores et déjà de mettre en place des formations sur la tarification et la facturation pour faire émerger de nouveaux modèles.
C’est aussi pour prétendre à la diminution des coûts que les clients exigent de leur avocat qu’il les informe avoir utilisé l’IA pour traiter leur dossier. Ils sont 79 % de particuliers et 70 % d’entreprises à vouloir le savoir. Une demande forte à laquelle s’opposent les professionnels, qui, à 75 %, refusent de révéler au client l’usage d’un outil d’IA.
Pour le président de l’Observatoire, la grande remise en cause que révèle cette étude doit être accompagnée par les institutions représentatives qui doivent proposer des réflexions sur les mutations de la profession, notamment quant à l’accès aux outils d’IA, ainsi que des solutions individuelles. « Les avocats vont devoir réfléchir à ce qu’ils feront du temps gagné et s’autodiscipliner pour rester maîtres de l’IA en s’appropriant son raisonnement. Ce sont des défis considérables, mais cruciaux », observe-t-il.
D’ici la fin de l’année, le CNB publiera un livre blanc sur l’IA qui reprendra le volet prospectif de cette étude.