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Diversité et cabinets d’avocats

Par Ondine Delaunay

La question de la diversité avait été au cœur de l’attention des clients des cabinets d’avocats il y a quelques années. Depuis la crise sanitaire, elle a été reléguée au second plan. Mais quelques initiatives intéressantes commencent à réapparaître.

Les directeurs juridiques avaient demandé, il y a quelques années, que les femmes soient plus représentées dans les fonctions d’associés des cabinets d’avocats d’affaires. Dans le magazine de la LJA du mois d’avril 2014, Béatrice Bihr, responsable de la commission DJ au féminin du Cercle Montesquieu, annonçait la publication d’un classement des 100 premiers cabinets d’affaires en fonction du nombre de femmes associées. Elle expliquait alors à la rédaction : « C’est une première étape. Ensuite nous allons réfléchir à l’opportunité d’intégrer la question de la parité dans les critères des appels d’offres ainsi qu’à d’autres initiatives, telles que l’attribution d’un prix pour encourager les cabinets à promouvoir l’égalité. » La mixité devenait alors un avantage concurrentiel et les cabinets ont cherché à s’organiser. Certains confiant même leurs clés à des managing partners femmes et de couleur.1

Depuis quelques jours, les cabinets semblent vouloir repartir à l’offensive sur ce sujet. Skadden Arps tout d’abord qui a communiqué sur le lancement du prix de la diversité, en partenariat avec The Walt Disney Company. « Ce prix a pour vocation de permettre aux étudiants en droit issus de tous horizons de réfléchir et de proposer des solutions juridiques contribuant à la promotion et au développement de la diversité en France », indique l’annonce. À la clé pour le gagnant : la coquette somme de 8 000 €. Les candidatures sont attendues au plus tard le 31 mars 2021 et la remise des mémoires aura lieu mi-juin. Le sujet de cette année : xomment permettre aux entreprises de mesurer et de rendre compte de la diversité en leur sein, afin d’en améliorer la représentation tout en respectant le droit à la vie privée des personnes concernées ?

Peu d’entrain des cabinets

La question soulevée par Skadden Arps est d’importance et tous les cabinets se la posent aujourd’hui. C’est d’ailleurs souvent l’une des voies de réflexion proposées aux futurs associés des firmes qui doivent présenter leur business plan au comité de nomination des partners. Car la crise de la Covid aidant, force est de reconnaître que les bonnes intentions des avocats en la matière sont aujourd’hui enterrées sous le tapis. « Les divers confinements ont conduit les cabinets à se concentrer sur d’autres sujets prioritaires, remarque Sébastien Robineau, managing partner de RBO Consulting. La gestion de la Covid-19 a fait retomber le soufflé, mais à la base le terreau n’était pas très bon. » Le conseil en business development reconnaît que la majorité des cabinets n’a pas cherché à pousser les jeunes femmes à des postes stratégiques. Elles sont pour l’essentiel cantonnées à des fonctions de N-2 ou N-3.

Et pourtant, les firmes sont conscientes de l’enjeu et veillent à mettre en avant leurs effectifs féminins lors des rendez-vous avec les clients. « Il y a quelques semaines, j’étais dans une réunion d’ouverture de dossier avec un nouveau client et autour de moi, à la table, il n’y avait que des femmes, indique un avocat sous couvert d’anonymat. Sauf que la majorité d’entre elles n’étaient pas du tout spécialisées sur le sujet que nous traitions. » Une situation qui est n’est pas rare, selon Sébastien Robineau. Les cabinets font de l’affichage. « En même temps, défend-il, les clients qui annonçaient mettre dans leur pitch des clauses sur la diversité et la gestion de l’environnement, ne vérifient jamais si les informations présentées par les cabinets sont exactes. » Mettre du papier recyclé dans l’imprimante ne suffit pas pour porter une structure au rang de reine de l’écologie !

Des initiatives intéressantes

Tout n’est pourtant pas si noir. DLA Piper a récemment publié ses objectifs en matière de diversité et d’inclusion au niveau international. On y apprend que la firme compte actuellement 21 % d’associées femmes et s’est fixée comme objectif de porter ce nombre à 30 % en 2025 et à 40 % d’ici 2030. Elle avance en outre que « la moitié des promotions internes d’associés devront provenir de groupes sous-représentés (ethnicité, genre, handicap et neurodiversité, origine, mobilité sociale, orientation sexuelle et personnes travaillant à temps partiel) ». Pour les atteindre, des indicateurs de performance clés sont prévus. Si le bureau de Paris est très impliqué sur ces problématiques, notamment grâce à l’action d’Isabelle Eid, directrice du knowledge management, du marketing communication et du développement, l’impulsion sur ces sujets vient clairement des États-Unis où la question de la diversité est considérée avec acuité.

En France, le cabinet Claisse & Associés – récemment rebaptisé Centaure Avocats – a mis en place une vraie politique interne de RSE qui se traduit au travers de quatre axes dont celui de l’égalité et de la diversité.2 « Peu importe d’où viennent les collaborateurs du cabinet, socialement ou géographiquement. Seules comptent la compétence et l’envie de travailler ensemble », est-il revendiqué. Dans cet esprit, des partenariats avec les facultés de droit Paris VIII et Paris XIII ont, par exemple, été noués pour recruter stagiaires et avocats. En outre, le cabinet – qui se qualifie d’entreprise – se veut « indifférent aux différences (sexe, âge, origine géographique ou sociale). Le management et le développement de carrière de ses salariés et avocats ne se fondent pas sur ces différences mais sur la compétence, le mérite, la performance et la création d’opportunités ». Sébastien Robineau est admiratif de tels engagements, mais rappelle cependant que « les cabinets spécialisés en droit public des affaires, qui répondent aux appels d’offres soumis au Code des marchés publics, ont le devoir d’être précurseurs car ils n’ont pas le choix ! Au sein de l’appel d’offres, le critère de respect des engagements de RSE est vérifié de manière objective par le client ». Et de s’interroger sur la nécessité, pour les groupes privés, de s’engager eux aussi dans la vérification des engagements de diversité et d’inclusion annoncés par les cabinets. Il vient d’ailleurs de lancer une enquête, auprès des professionnels du droit et du chiffre, sur l’inclusion et le handicap invisible. Le sujet semble en effet pour le moment encore assez tabou et, en tout cas, pas prioritaire pour les cabinets.

Béatrice Bihr Skadden Arps The Walt Disney Company EMEA RBO Consulting Sébastien Robineau Skadden Arps Claisse & Associés