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Combien gagnent les professionnels du droit en entreprise ?

Par Ondine Delaunay

Six ans après la dernière édition, l’AFJE et le Cercle Montesquieu publient les résultats de leur enquête sur la rémunération des juristes d’entreprise. Menée en partenariat avec Atorus Executive et Lamy Liaisons Karnov, cette étude est une référence du secteur depuis quarante ans. Elle révèle un panorama fiable des pratiques salariales dans les directions juridiques à tous niveaux de séniorité.

Les Français n’aiment pas parler de leur salaire en public. Curieusement, c’est un sujet qui dérange. Sans doute par peur de susciter la jalousie, ou peut-être la déception. Fort heureusement, l’AFJE et le Cercle Montesquieu se chargent, à intervalles réguliers, de proposer un panorama fiable des pratiques salariales dans les directions juridiques, de manière à informer les professionnels. Il est la synthèse d’une enquête menée en ligne auprès de plus de 1000 juristes et porte sur trois profils principaux : les juristes, les responsables juridiques et les directeurs juridiques.

Des rémunérations en hausse

L’édition de 2019 (cf. LJA 1429) avait déjà révélé une tendance à l’augmentation des salaires des professionnels du droit dans l’entreprise. Elle est encore plus nette en 2025. Il faut dire que leur champ de responsabilités s’étend de plus en plus et leur place dans l’entreprise est désormais considérée comme objectivement stratégique.  Le salaire brut fixe moyen d’un directeur juridique s’élève aujourd’hui à 130 329€, soit une augmentation de 1,5 % par rapport à la dernière édition. Les secteurs les plus rémunérateurs sont classiquement la tech, les activités financières et l’information et la communication. La taille de l’équipe encadrée
présente un impact direct sur le niveau de rémunération : 103 511€ en moyenne pour une équipe d’un juriste, contre 325 000€ pour une équipe constituée de plus de 201 juristes.

Sans surprise, les directeurs juridiques des sociétés cotées sont mieux rémunérés que ceux des sociétés non cotées (143 498€ en moyenne, contre 120 526€), tout comme leur présence au comex (ils gagnent 23 % de plus en moyenne). Besma Boumaza, vice-présidente de l’AFJE, directrice juridique et compliance du groupe Accor et secrétaire du conseil d’administration, précise : « La rémunération des directeurs juridiques ne dépend pas seulement de l’expérience, mais du positionnement stratégique de la fonction. Être rattaché au plus haut niveau de l’organigramme fait toute la différence ». Le rattachement est dans 65 % des cas, directement auprès de la présidence et à la direction générale. L’impact est alors immédiat sur la rémunération moyenne : 154 615€. Environ 15 % sont rattachés à la direction financière ou administrative (112 394€) et 9 % au secrétariat général (146 800€).

 

Près de 72,5 % des directeurs juridiques ont été augmentés en 2024. On notera que la progression a été plus marquée en régions (+10% à 110 311€ en moyenne) qu’en Île-de-France (+3% à 139 049€). Quelque 83,5 % des directeurs juridiques perçoivent en outre une part variable allant de 5,1% à 30 %, ainsi que des avantages annexes : retraites complémentaire (12 %), prime (21 %), stock-options (24 % en baisse de 12 % par rapport à l’édition 2019), des RTT (44 %) et une voiture de fonction (50 %, en baisse de 14 % par rapport à 2019). Marie Hombrouck, fondatrice du cabinet Atorus Executive, rappelle que « si le fixe ou les primes sont encadrées, d’autres leviers peuvent être négociés : prime d’arrivée, mobilité, formation… ». Elle note d’ailleurs que la formation est de plus en plus considérée comme un levier d’évolution de carrière et de salaire par les juristes. « Lorsqu’une revalorisation salariale n’est pas possible, investir dans son employabilité reste une façon concrète de se créer de nouvelles opportunités », précise la spécialiste du recrutement. Or la formation initiale ne suffit plus aujourd’hui car les enjeux juridiques évoluent trop vite. Pour Besma Boumaza : « Les juristes doivent renforcer leurs compétences à la fois techniques et comportementales (communication, management, prise de parole…) ». Carine Paugnat, directrice marketing de Lamy Liaisons ajoute : « Considérer la formation continue comme un levier d’évolution est révélateur d’un vrai changement d’état d’esprit, amplifié par l’essor de l’IA ». L’étude révèle à ce propos que 88 % des juristes considèrent que l’IA aura un impact positif sur l’évolution de leur métier.

Les juristes et responsables juridiques ont le vent en poupe

Si la situation des directeurs juridiques semble de plus en plus confortable au sein de l’entreprise, celle de leur équipe l’est également. Le salaire brut fixe moyen d’un juriste d’entreprise s’élève à 53 921€ (en augmentation de 6,5 % par rapport à 2019). Il est de 57 709€ en Île-de-France en moyenne, et de 50 917€ en régions. Les secteurs les plus rémunérateurs sont la tech, les activités immobilières et l’industrie manufacturière. Ils sont 64 % à avoir été augmentés en 2024. 

 

S’agissant des responsables juridiques, leur salaire brut fixe moyen atteint 71 875€ (86 048€ en Île-de-France et 60 028€ en régions). Environ 71 % d’entre eux ont été augmentés en 2024. Les secteurs les plus rémunérateurs sont la tech, l’information et la communication et les activités financières et d’assurance. Les responsables juridiques perçoivent en outre une part variable dans 72,5 % des cas, basée notamment sur la performance personnelle (51,5 %) et celle de l’entreprise (36,5 %). L’étude précise que la rémunération variable augmente à mesure que l’on progresse dans la hiérarchie. Mais 78 % des responsables juridiques ne sont pas prêts à réduire leur fixe pour augmenter leur part variable.

La reconversion des avocats au sein de l’entreprise s’avère aujourd’hui nettement payante. Les juristes titulaires du Capa ayant exercé gagnent 33,5 % de plus que les non titulaires (16 % de plus pour les responsables juridiques et 7 % pour les directeurs). Marie Hombrouck remarque : « Le Capa peut faire la différence, surtout dans les entreprises dotées de grilles salariales intégrant ce diplôme. L’expérience est valorisée différemment selon le secteur et le poste : elle est souvent demandée en corporate ou en M&A mais beaucoup moins en droit administratif ou en droit de l’environnement ». Le passage dans une firme anglo-saxonne est considéré comme un atout, tout comme l’expérience dans un cabinet français du Top 10.

Des inégalités salariales qui s’amplifient

Demeure néanmoins un point noir dans les résultats de cette enquête : les écarts de salaire entre hommes et femmes. Ils s’amplifient d’ailleurs avec la séniorité. S’agissant des juristes ayant moins d’un an d’expérience, les hommes gagnent 4 % de plus que les femmes à compétences égales. Et plus l’expérience grimpe, plus l’inégalité se constate. Dans les profils ayant entre 4 et 8 ans d’expérience, l’écart salarial est de 10,5 % en faveur des hommes. Il atteint 18,5 % pour les professionnels ayant plus de 15 ans d’expérience. Pourtant les femmes sont toujours plus nombreuses à s’engager dans cette voie. Quelque 70,6 % des juristes d’entreprise sont aujourd’hui des femmes. La tendance à la féminisation des effectifs est encore plus marquée chez les jeunes générations : 74,5 % chez les juristes contre 67 % chez les directeurs juridiques. Besma Boumaza explique cet écart salarial par le fait que les femmes ont souvent été nommées plus jeunes aux responsabilités que les hommes de la génération précédente. La différence devrait donc se tasser. Pour elle, il faut plutôt s’inquiéter de savoir pourquoi la profession  n’est plus attractive pour les hommes ?