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Business & Legal Forum : aller plus loin, ensemble

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Le Business & Legal Forum s’est tenu ce jeudi 14 octobre dans les locaux de l’hôtel particulier des Arts & Métiers. Pour la seconde fois de son histoire, il était couplé au Global Anticorruption & Compliance Summit. L’occasion pour les directeurs juridiques d’échanger en totale liberté avec les directeurs compliance, représentants des autorités, magistrats et universitaires sous l’œil bienveillant de leurs conseils. Selon le respect de la règle de Chatham House imposée par les organisateurs, la LJA ne peut ici attribuer les citations à leurs auteurs. La rédaction a néanmoins souhaité retranscrire l’essence des discussions d’une matinée riche en partages.

C’est sur le thème de l’international que la journée s’est ouverte. Plusieurs tables rondes ont attiré l’attention de la rédaction pour la pertinence de leurs thématiques. Notamment celle sur l’attractivité de la France, qui n’est pas qu’une affaire d’économistes. Les entreprises peuvent aussi influencer un système juridique performant et éthique. Pour en parler : Philippe Coen, directeur juridique corporate legal de The Walt Disney Company, Marc Mossé, directeur des affaires juridiques et affaires publiques de Microsoft Europe et président de l’AFJE, Louis-Philippe Vasconcelos, head of M&A legal de BNP Paribas, et Serge Tatar, avocat associé du cabinet Lacourte Raquin Tatar. Tous s’accordent à reconnaître le poids de la France et de certaines de ses normes dans cette course européenne à l’influence juridique. « La France est le laboratoire de la sophistication », a-t-on entendu. En témoignent bien sûr la loi Sapin 2, symbole même de l’extraterritorialité du droit français. Mais d’autres concepts, comme l’exception culturelle en matière audiovisuelle, ont été inventés dans l’hexagone, avant d’être retranscrits au sein de directives européennes. Des marges d’amélioration sont cependant possibles, notamment en matière sociale. La loi Hamon étant tout particulièrement visée comme étant un texte inutile et inapplicable. « Dans le contexte post-Brexit, l’axe franco-allemand va-t-il nous permettre d’imposer nos idées en Europe ? », s’est-on interrogé. L’attractivité impose en effet aussi de se concilier avec un certain cadre éthique. « Nous devons nous donner les moyens d’influencer le droit européen, afin que toutes nos entreprises soient soumises aux mêmes règles et que la compétitivité diminue ».

Faire valoir la voix des juristes

À l’approche des élections présidentielles, l’AFJE entend faire porter sa voix en émettant plusieurs propositions concrètes. D’abord, en amont de la publication d’une loi, elle recommande une étude d’impact sur son attractivité auprès des investisseurs internationaux. « Les entreprises ont un rôle fondamental à jouer auprès du législateur sur le bilan d’une loi », a-t-il été indiqué, étant précisé qu’au sein de l’entreprise, c’est bien sûr au juriste de faire connaître sa voix. Autre proposition : s’organiser en France et en Europe pour faire du droit un élément du soft power. « Nous devons être des ambassadeurs à l’intelligence juridique pour peser dans le concert des nations », a-t-on entendu. Last but not least, il faut permettre au juriste – au sens large du terme – d’être placé au centre de l’équation. « Les avocats et juristes doivent former une grande profession du droit, unie, pour influencer le droit et ne plus avancer en cercles dispersés », a-t-il été lancé. Dans cet esprit, il est d’ailleurs envisagé un projet de création de la filière du droit, une incarnation de cette grande profession, qui soit un interlocuteur identifiable par les pouvoirs publics pour porter les propositions d’avancées du droit.

Gérer la crise en équipe

Autre sujet d’intérêt, la table ronde relative à la cybersécurité, animée par le professeur Christophe Roquilly réunissait entreprises (Édouard Leeleea, directeur compliance Desmet Ballestra), prestataires (Ludovic Coralie d’Octave et Wajdi Kharrat de FTI Consulting) et avocats (Emmanuel Moyne et Geoffroy Goubin du cabinet Bougartchev Moyne Associés) pour débattre de la nécessaire collaboration autour de la question des risques, quels qu’ils soient, et de leur gestion. Trois séquences distinctes ont été identifiées : d’abord, celle de l’anticipation de la crise ou de l’attaque, celle de sa survenance, puis celle des conséquences à en tirer. À tous ces stades, la réunion de tous les acteurs de l’entreprise, qui parlent souvent un langage différent, est une nécessité. Comment en effet mettre en place, au moment de la survenance d’une attaque, une cellule de crise composée de personnes (juristes, informaticiens, opérationnels) qui n’ont pas l’habitude de se côtoyer et de travailler de concert ? Les participants ont expliqué qu’il n’est pas demandé la même chose aux différents acteurs, et la concurrence entre eux n’est donc pas de mise.

Quelle méthode pour parvenir à cette coopération vertueuse ? D’abord, en calibrant le budget nécessaire à une bonne protection de l’entreprise, ce qui implique la parfaite compréhension des enjeux. Cette question budgétaire doit être transverse et pilotée au niveau de la direction générale. Il a notamment été insisté sur le nécessaire travail d’évaluation des risques en amont. Un participant a exhorté à ne pas mettre de côté le facteur humain et à ne pas négliger la formation des personnels. « La meilleure technologie qui soit n’empêchera pas les salariés d’être corrompus et de vendre des données à un tiers », a-t-il alerté. Ainsi, la connaissance de l’environnement légal et réglementaire au sein duquel évolue l’entreprise doit être une base commune pour permettre l’identification du risque.

Mieux travailler avec les ONG

Toujours dans une vision internationale, Yvon Martinet, associé du cabinet DS Avocats, Jean-Marie Gauvain, directeur des risques et de la conformité du groupe Casino, Alexandre Brailowky, directeur de la RSE chez Engie, William Bourdon, associé du cabinet Bourdon & Forestier, et Laurent Morel, co-fondateur de Time for the Planet, se sont interrogés sur le thème « Et si les relations ONG et entreprises devenaient plus constructives pour la planète : quels enjeux pour les DJ et les parties prenantes ? ». En d’autres termes, dans un contexte d’urgence climatique, comment les ONG peuvent travailler de concert avec les entreprises alors que la coopération entre les deux paraît, de prime abord, totalement contre-intuitive ? A été dans un premier temps soulignée la défiance réciproque historique entre les ONG et les entreprises, qui doivent changer leur regard mutuel et coopérer. L’entreprise doit apprendre à écouter les parties prenantes et comprendre que la création de valeur n’est pas seulement économique, tandis que les ONG doivent reconnaître que certaines compétences présentes chez son meilleur ennemi pourraient être utiles à la société. Un autre intervenant a appelé à la perméabilité des expériences des dirigeants et collaborateurs dans les ONG et le privé, pour faire parler ces deux mondes. A également été évoquée la mise en place d’un produit financier, les dividendes climat, afin que les entreprises qui investissent dans la transition ne soient pas pénalisées dans leur bilan carbone. Rappelons que Time for the Planet est une entreprise à but non lucratif, soit un mixte entre une ONG et une entreprise. Structurer différemment les ONG pour arriver à les organiser comme une entreprise pour le bien commun avec une non-lucrativité financière, mais des retours en termes d’impact qui seraient mesurés, a été l’une des solutions évoquées. Finalement de nombreuses questions demeurent : « Est-ce que l’entreprise sera capable de changer son raisonnement de gouvernance et de mécanisme de financement ? Et est-ce que la société civile voudra adopter une nouvelle logique de structuration comme Time for the Planet ? », s’est-on interrogé. L’urgence peut s’avérer être une vraie opportunité, permettant de rassembler les ONG et les entreprises vers un objectif commun pour pouvoir travailler ensemble et mettre temporairement le profit à court terme de côté. « Une entreprise voulant garder de la rentabilité suffisante pour ses actionnaires doit être stable et, pour cela, elle doit rester dans un monde viable d’un point de vue économique. Elle doit donc nécessairement s’intéresser au problème du réchauffement climatique », a-t-on entendu. La conscience de cet enjeu climatique est de plus en plus intégrée par tous les acteurs. Chez TotalEnergie, par exemple, il a été rappelé qu’une partie des actionnaires sont mobilisés pour mettre en avant les aspects environnementaux.

Traiter des signalements de manière appropriée

Plus tard dans la matinée, une table ronde, plus interactive, traitait des lanceurs d’alerte et de la réforme annoncée des dispositions relatives à la protection de ces derniers, ainsi que des procédures de signalement, à la suite de la directive européenne, qui doit être transposée en droit national au plus tard d’ici la fin de l’année. Elle rassemblait l’avocat Guillaume Pellegrin (Bredin Prat), Laure Mazzoléni-Robin, directrice de la conformité chez Groupama, Claudio Interdonato, d’EQS Group et Virginie Gastine-Menou qui animait les débats. Les deux propositions de loi (ordinaire et organique) déposées à la suite du rapport sur la loi Sapin 2, rédigé par les députés Raphaël Gauvain et Marleix, ont été débattues. Il a été souligné que la notion de « désintéressement », qui conditionne la reconnaissance de la qualité de lanceur d’alerte, sera remplacée par l’absence de contrepartie financière. Et un intervenant de pointer du doigt la contradiction avec le nouveau régime de protection des lanceurs d’alerte, qui permet non seulement au Défenseur des droits, investi d’un nouveau rôle, de leur accorder le statut, mais aussi un soutien financier. « Ces propositions de loi posent davantage de questions qu’elles n’apportent de réponses », résume-t-il.

La tribune s’est également félicitée du renforcement de cette protection, rappelant les règles dans le secteur financier, depuis longtemps rompu à cette pratique, où les lanceurs d’alerte sont non seulement très protégés, mais également contraints de procéder à des signalements (market alerts par exemple), sous peine de sanctions. En Europe occidentale, le lanceur d’alerte est souvent considéré comme un paria plutôt que comme une personne qui signale une faille pour y remédier dans l’intérêt collectif. Une acculturation s’avère nécessaire dans les entreprises sur ce point et elle devrait davantage se faire par la voie de la soft law, qu’à coups de législations contraignantes. Les entreprises devraient multiplier les canaux de signalement internes dans leur intérêt, afin d’éviter que les lanceurs d’alerte ne se tournent vers l’extérieur, au risque de nuire à la réputation de l’entreprise. Les résultats d’une récente étude révèlent d’ailleurs que seulement 8 % des alertes émises se sont avérées fausses ou fallacieuses. Les traiter, même si elles sont bénignes, est donc toujours profitable à l’entreprise. Grâce à la mise en place de canaux de signalement appropriés, l’entreprise démontre qu’elle fait preuve de pédagogie, d’écoute et de considération.