Focus - La transmission des entreprises, un enjeu d’avenir
Lors du 121e congrès des notaires, qui s’est tenu à Montpellier du 24 au 26 septembre 2025 et consacré au thème du droit de la famille, les officiers ministériels se sont penchés sur le thème de la transmission du patrimoine professionnel. Un enjeu crucial à une période qui va voir de nombreux changements de mains des entreprises familiales.
Parler de famille, c’est parler d’héritage. Et les notaires ont bien compris qu’aujourd’hui, on ne léguait plus seulement « des armoires normandes et des petites cuillères », mais aussi des parts sociales et des avoirs financiers. Et à la veille de ce qu’il est convenu d’appeler « la grande transmission », qui selon les prévisions, verra 9000 Mds€ de capital changer de mains, dans un mouvement de transformation sans précédent, la question est cruciale.
Dans une interview vidéo diffusée lors du Congrès, le président de la CPME, Amir Reza-Tofighi, a rappelé qu’en France 80 % des entreprises étaient familiales, et qu’elles représentaient 60 % du PIB français. Il a déploré le fait que les chefs d’entreprise n’anticipaient pas assez leur succession, notamment pour des raisons de complexité.
De ce point de vue, les avocats ont un rôle à jouer bien sûr. Mais les notaires aussi, car cette question soulève des enjeux majeurs en termes économiques, ainsi qu’en termes de gouvernance, souligne Jean-Robert André, notaire à Pecquencourt (Nord) et président de la troisième commission de ce Congrès, consacrée au décès au sein de la famille.
Une pratique à codifier
Pour prévenir les difficultés qui font suite à la disparition du leader de l’entreprise, certains conseillers du dirigeant ont recours à la technique dite de la « gérance successive », qui permet de désigner, par avance, un successeur, soit dans les statuts, soit dans un acte postérieur. Cette pratique, qui existe depuis une trentaine d’années et est conseillée par les avocats d’affaires, peut être appliquée dans tous les types de société, sauf les SA.
Toutefois, observe Jean-Robert André, elle pose des problèmes importants, qui ne sont pas réglés par la jurisprudence tant le contentieux en la matière est rare. Ainsi, on ne peut guère que citer un arrêt de la cour d’appel de Paris, du 27 février 1997 (n° 94/015374) qui de surcroît condamne cette technique, jugeant qu’elle porte atteinte aux règles fondamentales de fonctionnement des sociétés. Cette pratique serait donc considérée par les juges du fond comme contraire aux dispositions de l’article 1844 du code civil.
À ce problème de fond s’ajoute un problème de forme, car en fonction des ressorts, les greffes des tribunaux de commerce sont plus ou moins enclins à recevoir ce type de déclarations. D’ailleurs, un avis du Comité de coordination du registre du commerce et des sociétés, qui date du 14 novembre 1995 (n° 1995-094), dit en substance et en termes très généraux, que les associés d’une SARL ne sont pas autorisés à désigner un gérant suppléant. La 3e commission du 121e Congrès, qui a planché sur le sujet, a donc considéré qu’il était souhaitable de se doter d’un régime juridique de gérance successive ou de dévolution de gérance complet et clair, notamment afin d’anticiper des difficultés telles que l’absence de consentement du successeur, sa renonciation, la question des modifications de la répartition du capital à la suite du décès du dirigeant, etc… La proposition a été adoptée par les notaires réunis en Congrès.
D’autres outils de transmission nécessaires
La question de la gérance successive n’était pas le seul point de convergence entre le droit patrimonial et le droit des sociétés. Les notaires ont également discuté de la création d’un pacte de famille de « gel des valeurs » qui pourrait être un outil intéressant en cas de transmission d’entreprises familiales.
La 2e commission a aussi proposé la clarification du régime de démembrement des droits sociaux, qui sont une source abondante de contentieux. Ces démembrements résultent souvent du décès d’un associé ou d’une transmission patrimoniale anticipée et la mise en place de règles claires et précises serait également de nature à fluidifier les reprises. Comme le considère le rapporteur de synthèse, Étienne Casimir, la philosophie des propositions des notaires sur le droit des sociétés aurait pour résultat d’axer la transmission sur la propriété des droits sociaux plutôt que sur la qualité de sociétaire. Une modernisation nécessaire, à l’heure où le Pacte Dutreil est sur la sellette. À ce sujet, quelques jours avant le congrès, les notaires membres de l’association des notaires conseils d’entreprise (NCE) avaient averti : ils sont sollicités par nombre de jeunes entrepreneurs qui frappent à la porte de leurs études pour anticiper la transmission de leur entreprise avant la fin de cette année, de peur que le dispositif ne disparaisse. Ils soulignent la difficulté actuelle à trouver des repreneurs et encouragent ainsi vivement à faciliter la transmission familiale des entreprises.