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Externaliser l’anticorruption ?

Par Jeanne Disset

Les discussions sur la loi sur les cabinets de conseil ont remis au centre la question de l’externalisation d’opérations ou de compétences par les entités publiques. Avec un questionnement plus inattendu sur l’Agence française anticorruption (AFA).

L

e 1er février dernier, lors des débats sur la proposition de loi transpartisane sur l’encadrement du recours au cabinet de conseil privés dans les politiques publiques, la députée Cécile Untermaier a soutenu l’idée d’interdire l’utilisation des cabinets privés pour les missions de contrôle et de surveillance des entreprises, citant notamment l’AFA. Si son amendement n’est pas passé, elle estime cependant spécifiquement que la lutte contre la corruption ne peut pas être confiée à des personnes extérieures à l’État : « C’est le domaine du régalien, alors les priorités font que l’administration doit être aux commandes. C’est l’État qui mène la politique, personne d’autre. Il faut toujours faire en sorte que l’administration soit en capacité de reprendre la main, c’était le sens de mon intervention ».

Une note très sévère de l’Observatoire de l’éthique publique (OEP)1, sortait d’ailleurs le lendemain, se plaçant aussi sur le plan du régalien. « Cette forme d’externalisation apparaît encombrante et implique un risque de perte de maîtrise de la régulation publique voire de capture. (…) L’externalisation de la supervision en matière de compliance semble constituer une zone d’ombre ». L’OEP déplore qu’il soit difficile de trouver trace de ces interventions. Plus globalement, l’OEP s’interroge sur le principe d’interdiction de déléguer, à des personnes privées, des pouvoirs de police et sur la possible inadéquation de la formalisation par les marchés publics.

Culture de la transparence

Cécile Untermaier constate que trop souvent, et pas que pour l’AFA, il est plus facile de passer un contrat avec un cabinet extérieur que de recruter. « Ce recours doit être transparent, identifié, circonstancié, contrôlé et évalué. L’AFA risque, s’il ne répond pas à ces exigences, de se voir totalement démunie de toute action face au cabinet de conseil ». Pour la députée, il est nécessaire d’encadrer strictement ce recours. « Sur la politique de lutte contre la corruption, alors même qu’une prise de parole politique très forte sur cette lutte reste à venir, alors même que les narco trafiquants sont aux portes de nos institutions, nous devons être en capacité d’internaliser au maximum pour appliquer une politique forte. Il faut revenir à une forme de régulation et de transparence ».

Louis Margueritte, rapporteur de la partie du budget qui concerne l’AFA, rappelle que celle-ci n’a pas encore atteint les ETP (équivalents temps plein) programmés et que trois ETP de plus sont dans le budget 2024. Recruter reste la priorité. Pour lui, l’intervention extérieure doit venir uniquement quand la compétence interne n’existe pas, et qu’elle n’est pas cœur de métier, donc en support de son travail, sur des expertises pointues.

Pour la députée Clara Chassaniol, qui a participé à la mission d’information « Évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants », où les risques corruptifs sont largement traités, « C’est plutôt une question de culture de transparence et de gestion des conflits d’intérêts, tant du public que du privé. Il faut être transparent, avoir des normes déontologiques très claires et si elles ne sont pas respectées, être sanctionné. Instituer un déontologue au niveau de certaines institutions ou au gouvernement, comme cela existe à l’Assemblée Nationale, c’est une piste intéressante. S’il y a du contrôle et du conseil (les deux, insiste-t-elle), l’interdiction n’est pas nécessaire. »

En filigrane de ces échanges avec les parlementaires, c’est bien toute la politique RH de l’État qui doit être pensée et repensée. Au-delà des rémunérations, des conditions de sortie, de l’évolution interne, du risque de se couper de la société civile, des coûts et des moyens, etc., c’est, avec l’efficacité publique, la culture de la transparence qui doit être le socle de l’action.

Réinternaliser… mais quoi ?

L’AFA a répliqué, auprès du média Intelligence Online2, qui avait déjà en décembre listé les 7 cabinets qu’elle utilise (PwC, Grant Thornton, Good Corporation, Alfred BPO, Sia Partners, Proetic et l’ADIT). Elle conteste les critiques : les travaux des cabinets, quand il y en a, sont encadrés par la loi Sapin 2 elle-même3, limités, et pas à la place de l’AFA. Si elle confie aujourd’hui une partie des missions d’audit initial et de suivi du plan d’action, celle-ci « garde exclusivement et intégralement la responsabilité du contenu de ces rapports. Il ne peut donc en aucun cas être considéré que l’AFA externaliserait de façon pérenne son cœur de métier ». Elle explique aussi réfléchir à la réinternalisation de certaines activités effectuées par l’intermédiaire de cabinets privés, comme les activités de contrôle des programmes de mise en conformité réalisés dans le cadre des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP) prononcées par l’autorité judicaire.

Aucun cabinet de conseil n’a pour le moment réagi. Et puis, la loi fait sortir du champ les prestations de conseil juridique ou financier réalisées par l’ensemble des professionnels du droit et du chiffre dès lors que ceux-ci sont déjà soumis à des obligations déontologiques sous le contrôle de leurs ordres professionnels respectifs, alors qu’au départ, la loi ne prévoyait d’exception que pour les experts-comptables, les commissaires aux comptes, et les avocats dans le cadre de leur activité de défense. Pour l’AFA, c’est surtout l’appui des sociétés privées de renseignement d’affaires qui reste, en l’état, indispensable à son fonctionnement.