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Efficacité et qualité de la justice en Europe, la France encore à la traîne

Par Ondine Delaunay

Alors qu’une association d’avocats, de greffiers et de magistrats lyonnais a annoncé la semaine dernière avoir assigné l’État français pour ses manquements en matière de ressources allouées à la justice, la Commission européenne pour l’efficacité de la Justice (CEPEJ) du Conseil de l’Europe a récemment publié son huitième rapport sur l’efficacité et la qualité de la justice en Europe. Il se base sur les données de 2018 fournies par 45 États membres du Conseil de l’Europe ainsi que par trois États observateurs auprès de l’institution, Israël, le Maroc et, pour la première fois, le Kazakhstan. Ce travail d’analyse permet de dresser un état des lieux des systèmes judiciaires tout en identifiant les tendances qui se dessinent en Europe. Revue de détail.

Plus d’un milliard d’euros. C’est le montant dépensé en moyenne par les États européens pour leurs systèmes judicaires en 2018, soit 72 € par habitant (8 € de plus qu’en 2016) et 0,33 % du PIB. Sans être une véritable surprise, l’enquête de la CEPEJ démontre que la France, elle, n’a consacré à la justice (budget des tribunaux, siège et parquet, et aide juridictionnelle) que 69,50 € par habitant en 2018. Les rapporteurs tiennent cependant à préciser que « Le budget alloué par habitant ne suffit pas à illustrer l’effort budgétaire réel d’un État pour le système judiciaire, cet effort étant très différent lorsqu’il est examiné du point de vue de la richesse de l’État. Le même budget alloué au système judiciaire peut correspondre à un effort budgétaire très différent, selon la richesse du pays ». Ils mettent donc en perspective le budget alloué par habitant au système judiciaire par rapport au PIB par habitant, donnant ainsi une représentation plus significative de l’effort budgétaire réel pour le système judiciaire par chaque État et entité. Mais, là encore sans surprise, les résultats français ne sont pas bons et surtout, ils ne sont pas en adéquation avec le groupe de onze pays ayant un PIB par habitant équivalent pour qui la moyenne des budgets de la justice est d’un peu plus de 84 € par habitant.

La stratégie d’affectation est là aussi assez différente des autres pays européens. De manière globale, 65 % étaient affectés aux tribunaux, 24 % aux ministères publics et 11 % à l’aide judiciaire. La France consacrait, elle, presque 72 % à ses tribunaux, 18 % aux ministères publics et un peu plus de 10 % à l’aide judiciaire.

Peu de juges

Si le nombre de tribunaux a reculé de 10 % en Europe entre 2010 et 2018, le nombre de juges professionnels est relativement stable avec une moyenne de 21 juges pour 100 000 habitants. La France, elle, en compte 11 c’est-à-dire quasiment deux fois moins. Le niveau de l’Espagne et de l’Italie est similaire. Pour comparaison, l’Allemagne en compte 25. La France affiche par ailleurs le plus petit nombre de procureurs en Europe ou presque (3 pour 100 000 habitants), ces derniers devant donc gérer un nombre très élevé d’affaires (6,6 pour 100 habitants) et exercer un nombre record de fonctions. En outre l’augmentation de la complexité de certaines infractions (criminalité organisée, corruption, terrorisme, délits financiers, cybercriminalité, traite des êtres humains, etc.) a pour effet d’accroître l’effort moyen à déployer par dossier.

Autre aspect intéressant de l’étude : celle de la parité au sein de la fonction de juge, qui varie considérablement en fonction des États. « Depuis 2010, on observe une tendance générale à l’augmentation du pourcentage de femmes juges professionnels, note l’étude. En 2012, le ratio moyen de femmes juges professionnels était supérieur pour la première fois à celui des hommes juges professionnels. De 2016 à 2018, la proportion moyenne de femmes a continué à augmenter, mais très faiblement (1 %) ». Les pays de common law continuent à afficher un pourcentage élevé d’hommes aux fonctions de juge.

Les rapporteurs relèvent que « les États mettent l’accent sur la parité femmes-hommes dans les procédures de recrutement et de promotion des juges ». Mais ils ajoutent que « le plafond de verre reste une réalité pour les fonctions à responsabilité » parmi les juges et les procureurs. « Les femmes juges et procureurs professionnels sont surreprésentées en première instance et sous-représentées en deuxième instance et à la plus haute instance », est-il démontré par graphiques. De la même façon, les femmes présidentes de tribunaux et à la tête de ministère publics sont sous-représentées.

Le recours aux outils numériques

Les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont désormais leur place dans les systèmes judiciaires européens, et notamment dans les activités et l’organisation du travail traditionnellement basées sur le papier (textes juridiques, dossiers, registres des tribunaux, etc.). Comme pour la majorité des États européens, la France a concentré ses efforts de façon prioritaire sur les outils de gestion des tribunaux et des affaires, puis sur les outils d’aide à la décision et, enfin, sur les outils de communication entre les tribunaux, les professionnels et/ou les utilisateurs des tribunaux. Mais les développements de pointe demeurent un défi pour le système judiciaire. Et l’examen de la variation du budget moyen alloué à l’informatisation des tribunaux entre 2014 et 2018 (en pourcentage du budget global des tribunaux) démontre que la France ne produit les efforts nécessaires pour se moderniser. Alors que les confinements se succèdent, n’est-il pas temps d’investir ?

Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ)