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Directeurs juridiques : quels nouveaux défis ?

Par Anne Portmann

L’association of corporate counsels (ACC) publie, en partenariat avec Exterro, la 24e édition de son enquête mondiale sur les directeurs juridiques et la fonction juridique en entreprise. Comme toujours l’étude, riche en enseignements, fait le point sur la place de la fonction juridique au sein de l’entreprise et le rôle clé du directeur juridique, notamment face à la pression réglementaire croissante. Synthèse. 

Après un rapide résumé des 10 points clés de l’étude, l’ACC détaille, dans une première partie, le rôle du directeur juridique, en commençant par le titre ou le vocable sous lequel il exerce ses fonctions en entreprise. « general counsel » reste le titre sous lequel le responsable des affaires juridiques exerce le plus souvent, porté par 62 % des personnes interrogées, au niveau global. On notera toutefois que bien que majoritaire, cette désignation baisse de 4 % par rapport à l’année dernière, vraisemblablement au profit de la désignation de « chief legal officer », donnée désormais dans 25 % des cas contre 21 l’année passée. Quelque 19 % des répondants indiquent avoir également un titre de vice-président de l’entreprise. On notera que 11 % utilisent un autre titre, parfois plus général, qui dépasse les strictes fonctions juridiques. Dans les faits, plus de la moitié des répondants exercent la fonction de « corporate secretary », (secrétaire général), tout comme l’an passé. Quelque 36 % indiquent ne pas exercer ces fonctions, c’est 6 % de moins que l’année dernière. Quant à leur place dans l’entreprise, 77 % des directeurs juridiques rapportent aujourd’hui directement au P.-D.G. Ce chiffre atteint 81 % dans les entreprises américaines et chute à 66 % s’agissant du reste du monde. Le plus souvent, les DJ qui ne relèvent pas directement hiérarchiquement du P.-D.G. rapportent au directeur financier (42 %), ou au directeur général (18 %). Ces chiffres sont cependant mouvants, compte tenu des différences de structures d’entreprises. L’étude note d’ailleurs que la proportion de DJ qui rapportent directement à la personne à la tête de l’entreprise est légèrement plus élevée dans les structures plus petites (79 % contre 75 %). On notera avec intérêt que quelque 20 % des DJ qui ne relèvent pas du P.-D.G. dépendent d’un autre service : la conformité, les RH ou la gestion des risques. La moitié des DJ rapportent, en outre, au conseil d’administration de leur entreprise. Il n’y a pas ici d’évolution notable par rapport à l’année dernière.

Au-delà du juridique

Le champ d’activité des directeurs juridiques ne cesse de croître. La plupart d’entre eux supervisent la fonction conformité (78 %). La gestion des données personnelles leur incombe également à 51 % et cette fonction a supplanté les questions liées à l’éthique (47 %). Viennent ensuite la supervision des risques, pour 44 % d’entre eux, soit une augmentation de quatre points par rapport à l’étude précédente, puis 29 % qui déclarent s’occuper des affaires publiques, 23 % des questions liées à l’ESG/RSE et 20 % à la cybersécurité, soit une augmentation de quatre points d’une année sur l’autre. Quelque 18 % interviennent en ressources humaines, et entre 10 et 15 % prennent en charge les affaires de l’entreprise, les installations, l’administration, l’environnement, la santé et de la sécurité (HSE), la communication et les audits internes. L’exercice de ces fonctions varie toutefois de manière significative (+/- 10 points) selon la taille de l’entreprise, qui au fur et à mesure qu’elle grandit, a davantage besoin de professionnels spécialisés. Les fonctions liées à l’éthique semblent être l’exception, avec 39 % de petites entreprises où cette fonction est exercée par le DJ contre 51 % dans les entreprises plus importantes. Il convient de ne pas négliger non plus le profil des directeurs juridiques, car certains auront tendance à vouloir sortir de leurs habitudes juridiques pour déployer leur activité vers de nouveaux domaines pour lesquels ils ont une appétence personnelle. On pense par exemple à Sarah Leroy qui a récemment été promue au rang de directrice des ressources humaines, en plus de ses fonctions juridiques (cf. LJA 1569).

La place de la DJ au sein de la gouvernance

L’étude détaille, en fonction de la taille et de la localisation géographique des entreprises, la façon dont les directeurs juridiques sont impliqués dans le système de décision. Ainsi, quelque 82 % des répondants assistent « presque toujours » aux réunions du conseil d’administration. Ils étaient seulement 77 % l’an passé. Ils peuvent être invités ou, bien souvent en Europe, ils sont secrétaire du conseil. Les CLO américains sont plus nombreux à assister aux réunions du conseil d’administration que dans d’autres pays. Toutefois, en dehors des USA, les DJ rencontrent plus régulièrement les membres du conseil d’administration lors de réunions de travail formelles ou informelles, en dehors du strict cadre du conseil. Les sujets d’activisme, à consonances parfois contentieuses, sont autant d’occasions pour les professionnels du droit dans l’entreprise de s’imposer aux côtés des administrateurs. En outre, 69 % rencontrent régulièrement le chef d’entreprise pour faire le point sur les problèmes opérationnels et les risques afférents. Leur avis est également souvent sollicité par l’équipe de direction en amont d’une prise de décision commerciale (65 %).

Les sujets d’attention

En ce qui concerne les sujets de préoccupation des DJ, la cybersécurité, suivie de la réglementation et la conformité, et la confidentialité des données restent en tête du top 10. C’était déjà le cas l’an dernier. Les sources de risques pour l’avenir identifiées par les répondants sont, en premier lieu l’environnement réglementaire, cité à 25 %. La plupart des répondants soulignent l’augmentation ou l’évolution des textes, d’autres craignent de devoir faire face à de multiples réglementations dans plusieurs juridictions, et d’autres redoutent une pression réglementaire accrue sur certaines questions, telles que la confidentialité des données ou l’environnement. Quelque 20 % mentionnent l’économie comme le risque organisationnel le plus important pour 2023, en raison de l’inflation, de l’augmentation des coûts de l’énergie et de la perturbation des chaînes d’approvisionnement. Environ 12 % des répondants ajoutent que l’instabilité géopolitique est un risque important.

Évolution des départements juridiques

Dans les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 100 M$ en moyenne, les DJ passent 30 % de leur temps à fournir des conseils juridiques et 13 % à gérer le service. Pour les entreprises de taille supérieure, c’est la gestion du service juridique qui occupe l’essentiel de leur temps (22 %) et supplante la fourniture de conseils juridiques, dont une partie est sous-traitée à des cabinets d’avocats. Comme l’année dernière, les DJ pensent qu’en 2023, les opérations de fusions-acquisitions et les scissions nécessiteront de mobiliser le département juridique et impliqueront davantage de ressources. Ils anticipent également d’être interrogés sur des questions de confidentialité et de protection des données (17 %), suivies du contentieux et de l’ediscovery (11 %), domaines gourmands en ressources s’il en est. Il apparaît que les CLO américains sont très préoccupés par une loi fédérale en préparation, relative à la protection des données personnelles des consommateurs américains (cf. interview d’Alexandra Neri in LJA 1554). Une fois n’est pas coutume, les DJ européens, désormais rompus aux obligations imposées par le RGPD, ont sur ce point une longueur d’avance sur leurs homologues d’outre-Atlantique.

Des compétences à développer

Il est à noter que 45 % des DJ sont d’accord avec le fait qu’une plus grande collaboration est nécessaire entre les services juridiques et les autres services en raison de l’augmentation des réglementations et des besoins d’optimisation. En ce qui concerne les compétences à développer au sein du département, 64 % des répondants souhaitent que les juristes développent des compétences de communication et d’écoute, ainsi qu’en leadership. Des compétences en gestion d’entreprise sont appréciées par 59 %, et le même pourcentage souhaite une présence exécutive pour les membres de son département (9 % de plus qu’en 2022). Quelque 57 % (9 % de plus) voudraient pour leurs juristes des compétences en gestion de projet. L’étude se termine avec les conseils des DJ à ceux qui voudraient exercer ce poste. Si la plupart soulignent l’importance de comprendre l’entreprise au sein de laquelle ils officient, on retiendra également la nécessité d’avoir un réseau, de cultiver le lien avec les dirigeants, et plus généralement, de cultiver des qualités d’écoute afin de créer un climat de confiance avec les opérationnels.