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Vers un procureur commercial européen ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1399 du 03 juin 2019

Dans une note publiée à la mi-mai, le Conseil d’analyse économique (CAE) français défend la politique de concurrence mise en place au niveau communautaire et formule 7 recommandations pour l’améliorer. Il préconise notamment la désignation d’un procureur commercial pour mettre en œuvre les exigences de réciprocité vis-à-vis des pays tiers.

Le Conseil d’analyse économique, organisme placé auprès du Premier ministre, est chargé d’éclairer les choix du gouvernement en matière économique. Il est composé d’économistes de haut niveau, parmi lesquels Jean Tirole et publie régulièrement des notes, des analyses et des points de vue. La dernière, publiée à la mi-mai (1) porte sur la politique de concurrence européenne, qui fait actuellement l’objet d’attaques répétées, notamment de la part des politiques. Ces derniers reprochent notamment à la Commission européenne d’empêcher la constitution d’entreprises de grande taille afin de concurrencer les mastodontes américains et asiatiques, inquiétudes qui ont été largement relayées dans les médias. Les économistes du CAE s’attachent en premier lieu à écarter cette idée reçue. Comparaisons et schémas à l’appui, les auteurs de la note considèrent que les règles mises en place dans Union sont plutôt de nature à favoriser l’investissement, la productivité et le pouvoir d’achat. La note relève en revanche qu’aux états-Unis, la hausse de la concentration est très marquée, en raison d’une politique qualifiée de « laxiste », contrairement à l’Europe où elle est relativement stable et qu’en réalité, rien ne suggère que la politique de l’Europe en la matière soit excessivement rigoureuse. Mais si la note tresse des lauriers au régulateur européen, elle n’exclut pas cependant, la nécessité de faire évoluer la politique européenne de concurrence, notamment grâce à une meilleure articulation avec la politique commerciale.

Faire évoluer la politique européenne de la concurrence

Les économistes demandent notamment à la Commission, dans le contexte de contrôle d’une opération de concentration, d’admettre, comme le font au demeurant beaucoup d’états membres, les engagements comportementaux pris par les parties postérieurement à l’opération. Pointant également du doigt les délais excessifs de procédure dans le cadre d’actions pour abus de position dominante, préjudiciables dans un contexte où le comportement de certaines entreprises peut aboutir rapidement à la disparition de concurrents, ils préconisent de faciliter le recours aux mesures provisoires. Afin de cibler les seuls cas qui posent un véritable problème de concurrence, il est également recommandé de permettre un contrôle ex post de certaines opérations de concentration. S’agissant des pays tiers à l’Union, la note rappelle que si l’engagement d’ouverture des marchés publics européens à la concurrence est large, la réciproque n’est pas forcément vraie. La note appelle à la vigilance et demande à ce que le principe de réciprocité s’applique pour les marchés publics. S’agissant des autres marchés, l’absence de réciprocité devrait conduire davantage à la mise en œuvre d’une consultation ou d’un processus de règlement des différends.

« Incarner » la politique de concurrence

Afin d’ « incarner » cette exigence de réciprocité, la nomination d’un « procureur commercial » par la Commission européenne permettrait de prendre des mesures pour remédier aux manquements constatés de la part de tiers. Le document cite en exemple la publication de conclusions, des mesures de type « naming and shaming », la transmission à la Commission en vue de la saisine de l’OMC ou encore des mesures de sauvegarde. Ce procureur, doté de moyens d’investigation, pourrait ouvrir des enquêtes anti-dumping ou anti-subvention. Au chapitre des réformes, les auteurs de la note voudraient aussi faire évoluer les règles relatives à l’OMC, et en priorité l’accord relatif à la limitation des subventions industrielles considéré comme trop restrictif et trop exigeant et ne couvrant pas l’ensemble des problématiques sur le sujet. La note souligne qu’en Chine, par exemple, le caractère protéiforme des subventions accordées aux entreprise déborde largement du cadre fixé par l’OMC. Le CAE soutient, sur ce sujet, les propositions qui ont été formulées par par la Commission, qui sont de nature à améliorer la transparence et les notifications des subventions. Par ailleurs, la réforme suggérée par la commission propose la création d’une présomption selon laquelle les subventions qui n’ont pas fait l’objet de notification sont préjudiciables aux partenaires commerciaux, ce qui serait de nature à être plus efficace que le système actuel, qui contraint les partenaires à prouver l’existence d’un préjudice, tâche qui n’est pas aisée. La réforme des accords OMC demandant d’importantes négociations, il est préconisé, dans l’intervalle de renforcer, dans l’Union, l’arsenal des instruments de défense commerciale pour faire face à la concurrence venant de pays tiers. 

OMC Jean Tirole Conseil d’analyse économique (CAE) CAE