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Troisième édition du Grenelle du droit : ensemble, c’est tout

Par Anne Portmann

Le vendredi 15  novembre dernier, au Palais Brongniart à Paris, se tenait la 3e édition du rendez-vous incontournable qu’est devenu pour la communauté juridique le Grenelle du droit, organisé par l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) et le Cerlce Montesquieu. L’occasion de s’interroger, ensemble, sur la place et l’avenir du droit au sein de la société.

C'est Marc Mossé, président de l’association et Anne-Sophie Lelay, vice-présidente du Cercle Montesquieu, qui ont ouvert ce troisième rendez-vous, dans le but de cadrer les débats qui ont eu lieu en ateliers tout le long de la matinée. Partant du constat global que les sociétés actuelles étaient de plus en plus en demanxde de droit, les deux maîtres de cérémonies ont demandé leur avis aux panelistes, représentant les différentes professions, réunis sur le podium, notamment à propos de la question qui agite l’écosystème juridique : celui du legal privilege, remis en lumière par la récente remise du rapport du député Raphaël Gauvain.

Le droit, arme stratégique

Bernard Spitz, président de la commission Europe du Medef, a indiqué que son organisation soutenait clairement la mise en place du legal privilege en France, indispensable pour que les entreprises hexagonales jouent à égalité avec celles des autres pays, les questions de souveraineté économique étant ici en cause. Déplorant le fait qu’en matière de régulation, les Européens fassent figure, dans le jeu mondial, de parents pauvres qui n’ont pas la capacité de se défendre contre les géants américains ou asiatiques, il a demandé à ce que les moyens soient donnés aux entreprises du continent d’utiliser le droit comme un élément de stratégie. Le député Raphaël Gauvain a renchéri en rappelant que le droit était « le prolongement d’une guerre commerciale » et que les États-Unis l’utilisaient au soutien de leur économie et de leurs entreprises. Jean-François de Montogolfier, le directeur des affaires civiles et du Sceau a de son côté indiqué que la Chancellerie avait « conscience » de ces évolutions et que le ministère travaillait sur ces questions.

La fabrique du droit et de la compliance

Pierre Berlioz, directeur de l’Ecole de formation du barreau (EFB) a souligné que le législateur n’était, désormais, plus le seul acteur dans l’élaboration de la norme et qu’une nouvelle forme de doctrine, est à l’œuvre, émanant d’autorités qui viennent satisfaire le besoin d’immédiateté des acteurs du marché. Ces autorités produisent des guidelines, des recommandations ou des décisions. « C’est un changement de paradigme. L’auteur de la norme produit des principes de conduites indicatifs, qui seront en réalité structurants car c’est l’auteur de la norme elle-même qui sanctionne les comportements déviants ». Il souligne, comme Paul-Louis Netter, président du tribunal de commerce de Paris, le côté « préoccupant », voire « angoissant » de cette évolution. Selon Bernard Spitz, ce changement est dû à la lenteur de la justice et au fait que les acteurs du marché ont, par le passé, sollicité les AAI (Autorités administratives indépendantes). Ce schéma explose aujourd’hui en raison des besoins des entreprises et de l’accélération de la vie des affaires.

Vers l’avocat en entreprise

Raphaël Gauvain a martelé que pour des questions de compétitivité, les avis juridiques internes devaient être protégés. Il a cependant indiqué, que conformément à son rapport, il n’était pas favorable à ce que le legal privilege soit conféré aux juristes d’entreprise, cette solution, mise en place en Belgique, ayant été un échec. En effet, selon la doctrine du puissant Departement of Justice (DoJ) américain, le titulaire du legal privilege doit obligatoirement être membre d’un barreau. Il préconise donc de mettre en place, à titre expérimental, l’avocat en entreprise. Une solution que les barreaux, en fonction de leurs besoins pourraient choisir d’adopter ou non. Le bâtonnier de Paris a d’ailleurs rappelé que dans son barreau, 60 % des avocats ne plaidaient jamais et 25 % des élèves de l’EFB n’intégraient pas le barreau. « Beaucoup d’avocats parisiens sont avocats d’entreprises dans le monde entier, et perdent paradoxalement cette qualité lorsqu’ils reviennent à Paris » a-t-elle relevé. Bernard Spitz a appelé à ce que cette réforme se fasse au plus vite. « Si on ne change pas, on est morts ! » s’est-il exclamé. La DACS, par la voix de son directeur a indiqué « chercher la voie d’avancée ». Raphaël Gauvain a alerté quant à lui sur les dangers d’une réforme trop brusque, préconisant davantage « les petits pas ».