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Pourquoi les cabinets du Big attirent-ils les avocats ?

Par Anne Portmann
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1393 du 15 avril 2019

La loi Pacte, en cours d’adoption, est en train d’abaisser les cloisons étanches qui séparaient l’audit du conseil en France. Les « Big 4 » de l’audit et d’autres cabinets de consultants saisissent les opportunités du marché, en créant ou en étoffant leurs équipes d’avocats. Comment les attirent-ils ?

KPMG Avocats a ouvert ses portes avec une ambition de recrutement massif. 400 avocats étaient annoncés en 12 mois. Manifestement, le nouveau cabinet de Big est en très bonne voie pour tenir ses promesses. Il suit la tendance du renforcement important des équipes des Big depuis plusieurs années, que ce soit en fiscal ou en juridique. Et si au premier abord, le choix de rejoindre de tels géants peut sembler saugrenu pour des avocats traditionnels, force est de reconnaître que les opportunités de développement sont réelles. à tel point que nombre d’entre eux les considèrent aujourd’hui comme des accélérateurs de carrière, qui permettent de s’ouvrir à d’autres professions. « C’est un virage à ne pas rater lorsqu’il se présente », témoigne une avocate qui sautera bientôt le pas.

Pluridisciplinarité et carrières internationales

La première opportunité est celle d’une carrière au sein d’un réseau pluridisciplinaire. Outre un réseau important d’auditeurs, EY compte dans ses rangs des experts en cyber-sécurité, des data scientists, des stratégistes, des spécialistes financiers, des experts de la blockchain, des spécialistes de l’environnement et beaucoup d’autres métiers qui complètent l’expertise juridique et fiscale. « Sur les 6 000 collaborateurs que nous comptons aujourd’hui, plus de 1 000 exercent un métier qui n’existait pas il y a 3 ou 4 ans. Cette richesse, on ne la trouve pas dans un cabinet traditionnel » dit Eric Fourel, président d’EY Société d’Avocats. Et les cabinets d’affaires traditionnels, même internationaux, sont parfois assez rétifs à la véritable interprofessionnalité. Tel n’est pas le cas dans les grands réseaux. Anne Frede, managing partner chez Grant Thornton Société d’Avocats, qui fonctionne sur le même modèle de réseau international qu’un Big, insiste sur le fait que les avocats n’y travaillent pas en silo, mais en équipe pluridisciplinaire. Par ailleurs, le maillage international et régional que propose les grandes firmes est très dense. Mustapha Oussedrat, managing partner de KPMG avocats explique pour sa part : « Rejoindre KPMG Avocats, c’est l’assurance de travailler dans un environnement pluridisciplinaire et international. Le cabinet est structuré en différentes lignes de services tant au sein du département fiscal que du département du droit des affaires, lignes de services que nous retrouvons dans les autres pays du réseau ».

Formation et ouverture

L’approche transversale et opérationnelle des dossiers permet aux avocats de se former à de nouveaux métiers. « Chez nous une vingtaine d’avocats savent coder », pointe Eric Fou. Anne Frede, confirme cette volonté d’investissement dans la formation des jeunes avocats « En plus de la formation d’avocat purement technique, nous leurs transmettons des soft skills et nous proposons des formations comportementales ou sur la prise de parole. Nous souhaitons qu’ils s’ouvrent à la connaissance d’autres domaines ». Autre point d’attraction qui n’est pas négligeable dans ces cabinets : les outils technologiques. Mustapha Oussedrat le relève : « Dans ce domaine, nous n’avons pas le même niveau d’investissement que dans d’autres cabinets d’affaires. Dans un contexte de digitalisation à grande vitesse, nous devons être à la hauteur des attentes de nos clients ». PwC société d’avocats a d’ailleurs recruté, il y a quelques mois, Isabelle de La Gorce, ancienne fondatrice d’une legaltech, comme associée, pour contribuer à l’évolution des offres technologiques et des outils numériques du cabinet.

Un parcours de carrière balisé et objectivé

Outre les moyens mis à disposition par le cabinet, d’autres considérations, financières, peuvent aussi conduire à sauter le pas.  Car au sein des cabinets d’affaires traditionnels, on constate un allongement des délais pour accéder à l’association. « Ces cabinets donnent avant tout la priorité au chiffre d’affaires et il est difficile de devenir associé à moins de 650 000 € de CA. Les associés ne confient plus de dossiers aux jeunes et ne les mettent plus sur la rampe de lancement pour accéder à l’association », témoigne l’avocate qui souhaite rester anonyme. Même si au sein des firmes traditionnelles le chiffre d’affaires est aussi un élément de progression, c’est loin d’être le seul. Au sein des Big, les choses semblent plus claires et définies. « Chez EY, le parcours est basé sur le mérite. Nous privilégions la performance sur la durée, c’est une véritable course de fond », constate Eric Fourel. « Nous offrons à chacun la chance d’évoluer et de trouver sa place, et la perspective d’une évolution certaine pouvant aller jusqu’à l’association », estime Mustapha Oussedrat. Côté rémunération, les avocats sont souvent intéressés aux dossiers dès l’entrée et l’accès au grade de senior manager permet souvent d’acheter des parts du cabinet. « La culture du travail en équipe qui existe dans le réseau et l’idée de construction générationnelle sont la base d’une « culture de solidarité », estime Eric Fourel. « La philosophie d’un Big, c’est que les associés ne sont pas propriétaires du cabinet, mais usufruitiers de la firme. D’ailleurs, les parts, achetées à leur valeur nominale, sont également revendues de la sorte. Nous sommes tournés vers la transmission aux générations futures, vers une construction collective, et cela ne dépend pas du bon vouloir de tel ou tel associé. »

Egalité, flexibilité et conditions de travail

Dernier point notable : la réflexion qui existe au sein de ces firmes sur l’égalité hommes/femmes – mais aussi concernant la lutte contre d’autres discriminations. Elle fait défaut dans nombre de cabinets traditionnels. Chez EY, 25 % des associés sont des femmes. Et même si le travail au sein d’une telle firme reste exigeant, la flexibilité est de mise. « Nous en avons fini avec le présentiel depuis longtemps », reconnaît Eric Fourel. Un avantage qui permet aux femmes, sur qui l’on fait le plus souvent peser davantage de charges familiales, de combiner leur vie professionnelle et leur vie personnelle. « Pas de contraintes horaires formelles chez nous, renchérit Anne Frede. La seule contrainte c’est le client ». 

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