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Office manager, clé de voûte du cabinet pendant la crise

Par Anne Portmann

Aux côtés des associés et souvent sur le pont, les offices managers ou secrétaires généraux ont été indispensables pour fédérer, coordonner, organiser le fonctionnement des cabinets pendant la période de confinement. Ils s’occupent désormais de la reprise de l’activité.

Ils ont été tour à tour, dans le désordre et sans préférence, lanceurs d’alerte, informaticiens, coaches, standardistes, etc. Ils ont arrosé les plantes, organisé des réunions et animé des groupes de discussion en visioconférence, mais aussi géré les plannings, exerçant pendant le confinement encore plus que d’ordinaire la vaste palette de leurs compétences. Qu’ils aient travaillé seuls ou avec plusieurs associés, dans les locaux de la firme ou de chez eux, ils étaient les personnages clés des cabinets d’avocats. « Nous étions les couteaux suisses des cabinets », estime Angela Trivisonno, secrétaire générale du cabinet Latournerie Wolfrom Avocats, fondatrice et présidente de l’association COM’SG qui réunit les offices managers de 162 cabinets, essentiellement parisiens. Elle se félicite de la solidarité dont les membres de l’association ont fait preuve, échangeant souvent entre eux, faisant chacun part de leur expérience et s’échangeant même des modèles de courrier à adresser à la Direccte, ou des modèles de plan de déconfinement. « Pendant cette période, les associés du cabinet nous ont globalement laissé gérer et je n’ai pas eu connaissance d’abus », se félicite-t-elle.

Selon les cabinets, le confinement s’est mis en place de différentes manières. Ségolène Dugué, directrice générale du cabinet Cohen Amir-Aslani, a dû insister pour faire comprendre aux associés qu’il fallait fermer le cabinet, se présentant le lundi 16 mars 2020 en tenue de déménageur. « J’ai eu l’impression, comme dans un tsunami, d’être celle qui regarde l’horizon sur la plage et voit arriver la vague », se souvient-elle. D’autres ont tout de suite été épaulés par des associés, qui avaient anticipé la situation. « Nous avions pour notre part acheté des masques et du gel hydroalcoolique avant même le discours du président du 12 mars 2020 », indique Angela Trivisonno. Au sein du cabinet Earth Avocats, qui ne pensait pas que le confinement arriverait si vite, c’était le branle-bas de combat le 16 mars. « Les gens venaient, prenaient du matériel, des dossiers, repartaient », raconte Raphaëlle le Dieu de Ville, secrétaire générale, qui avoue avoir été stressée par toute cette effervescence, même si tout était prêt en amont. « Je n’ai eu qu’à transférer le standard et vider le frigo », se souvient-elle. Elle avait, la semaine précédente, appelé le bailleur et l’informaticien, mais aussi fait le nécessaire pour le courrier. « Il y eu une certaine fébrilité », reconnaît Thierry Carlier, office manager de DS Avocats.

« La difficulté particulière de cette crise, c’est qu’il fallait tout traiter au fil de l’eau, au jour le jour, dans un environnement réglementaire mouvant et selon des instructions données tardivement par le gouvernement pour une mise en place quasi-immédiate », confie Laurence Jaskulké, directrice des ressources humaines et de l’organisation au sein du cabinet Racine. « L’avantage est que les grèves de la RATP avait un peu préparé le terrain et, dans mon cabinet, la DSI était prête et les logiciels de travail à distance étaient en place », note pour sa part Angela Trivisonno. C’est aussi sur le fil que Hanif Badouraly, arrivé l’année dernière au sein de Scotto Partners, en tant qu’office manager, pour moderniser le cabinet, avait équipé l’ensemble du personnel d’ordinateurs portables « arrivés juste à temps » pour le confinement. « J’avais anticipé sans le savoir », sourit-il. Au sein du cabinet Cohen Amir-Aslani, même si les outils étaient déjà en place, le télétravail n’était pas dans la culture, et chacun a du s’adapter rapidement à cette nouvelle manière de travailler. Dans d’autres cabinets, si les outils existaient, on craignait qu’ils ne supportent pas le volume des connexions nécessaires. Mais parmi les secrétaires généraux interrogés, aucun ne s’est plaint de défaillances techniques. « Tout a tenu ! », dit Thierry Carlier avec une pointe de soulagement.

Fédérer malgré la distance

C’est surtout sur le terrain de l’organisation pratique du travail que les secrétaires généraux ont été sollicités, avec la question centrale de la mise en place du chômage partiel pour le personnel salarié. Les offices managers étaient aussi les grands ordonnateurs de la continuité du cabinet, élaborant, avec le managing partner le cas échéant, les plannings, recevant, scannant et répartissant le courrier, assurant l’organisation des réunions en visioconférence et le suivi des équipes et s’efforçant de prendre des nouvelles de chacun. Ils indiquent tous avoir connu, au cours de ces deux mois, des ruptures de rythme. « Après avoir écoulé le stock de dossiers sur lesquels ils travaillaient avant le confinement, certains avocats ont connu un creux dans leur activité », note Thierry Carlier. Alors, il a fallu occuper ces temps morts : inciter à publier sur les blogs pour rassurer les clients, pousser les gens à réfléchir sur l’avenir du cabinet, créer des webinaires. « J’ai été surpris de voir que certains avaient acquis davantage d’autonomie pendant le confinement », ajoute Thierry Carlier. Mais les habitudes reviennent très vite.

« J’ai pour ma part créé un groupe WhatsApp, qui nous servait de machine à café virtuelle, explique Ségolène Dugué. Je m’efforçais d’animer le groupe en demandant aux gens de poster des photos, de raconter leur quotidien en confinement. Il fallait conserver ce lien affectif, cet esprit de famille qui est la marque du cabinet ». Apéros virtuels, lettres d’information, comptes Instagram, ou encore séances de gymnastique avec un coach sportif, l’office manager s’est employé à mettre en place ce lien permanent entre les membres du cabinet. « Ce que je tire comme leçon de cette période, c’est que l’aspect psychologique ne doit jamais être négligé », souligne Idriss Saada, secrétaire général du cabinet Franklin, qui a appelé un à un plusieurs membres du personnel et dit avoir été surpris du besoin qu’ils ressentaient d’échanger régulièrement par oral.

Rassurer et motiver

La position de l’office manager s’est révélée à cet égard cruciale. « Les salariés et les collaborateurs ne posent pas les mêmes questions aux offices managers qu’aux associés », glisse Angela Trivisonno, qui insiste sur le rôle rassurant et motivant qu’ils ont dû jouer auprès de certains. « Il faut aussi faire attention à accompagner tout le monde, à ce qu’il n’y ait pas de déséquilibre pour ne pas susciter de jalousies », prévient Thierry Carlier. Ségolène Dugué indique avoir, pour sa part, littéralement « coaché » un des membres du cabinet qui menaçait de lâcher prise. « Notre rôle est aussi d’être à l’écoute des difficultés des uns et des autres, analyse-t-elle. J’ai été touchée par l’engagement de chacun à tout instant, et de la solidarité entre nous, alors que nous étions éclatés aux quatre coins de la France ».

Paradoxalement, l’éloignement a créé ou renforcé les liens au sein des cabinets. Chez Earth Avocats, « Nous formions une véritable communauté », estime Raphaëlle le Dieu de Ville. « Aménager du temps collectif, sous d’autres formes que la pause un peu obligatoire de 10 h 30 autour de la machine à café, permet de créer des liens d’une autre nature », reconnaît Hanif Badouraly. « Le confinement m’a rapproché des collaborateurs et des salariés, et j’ai eu des échanges plus personnels avec certains d’entre eux », note Florence Berger de Gallardo, secrétaire générale de HFW. « Cette crise a contribué encore davantage à percevoir le rôle de la fonction de secrétaire général au sein du cabinet », estime même Raphaëlle le Dieu de Ville, pourtant en poste depuis 12 ans.

Bref, la crise sanitaire n’a pas été de tout repos pour les clés de voûte des cabinets. Toujours sur le pont, les offices managers doivent désormais convaincre les salariés et les avocats de reprendre le chemin du cabinet, ce qui n’est pas une mince affaire. « C’est plus difficile que de les faire partir », reconnaît l’un d’eux avec une pointe d’amusement.

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