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Michel Prada publie son rapport sur l’activisme

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1420 du 11 novembre 2019
Par Jeanne Disset - Photo : Performance Publique

Alors que 2018 a été qualifiée d’année record de l’activisme, les rapports, celui des parlementaires Eric Woerth et Benjamin Dirx, celui de la banque Lazard et enfin celui du Club des Juristes, se multiplient. Entretien exclusif avec Michel Prada, président de la Commission du Club des Juristes, pour présenter ses propositions.

Quelle est votre position sur l’activisme actionnarial ?

L’activisme actionnarial n’est ni bon ni mauvais en soi. C’est une donnée de marché : les actionnaires ont le droit -et peut-être même le devoir-, de s’interroger sur le fonctionnement des entreprises. L’activisme actionnarial est une palette de situations, de stratégies, de méthodes, et encadrer ce concept dans une catégorie juridique est impossible. Alors, le Club des Juristes a choisi d’analyser les comportements susceptibles de porter atteinte au bon fonctionnement du marché, à sa transparence et à la loyauté des échanges. Aujourd’hui, il y a des fonds, principalement des fonds d’investissement, qui se sont donnés comme objectif de jouer le rôle d’actionnaires minoritaires, de manière active, en analysant la stratégie, les résultats, la gouvernance, la conformité aux grands principes ESG des entreprises, et qui essayent de peser sur celles-ci afin que, lorsqu’ils estiment que c’est nécessaire et souhaitable, elles fassent les modifications nécessaires pour améliorer leur performance et rendement. Quand le dialogue n’a pas eu lieu, ou a eu lieu mais ne s’est pas bien passé, les activistes s’engagent dans une campagne publique. C’est sans doute cela la caractéristique de l’activiste : il fait campagne et il le fait avec comme objectif de fédérer, autour de sa thèse, d’autres actionnaires qui sont souvent des gérants « passifs » pratiquant de la gestion indicielle. Les actionnaires ordinaires, quand ils ne sont pas contents, ils vendent. Or ces activistes décident d’agir. Il faut encadrer ces campagnes publiques et faire qu’elles se passent normalement, qu’il n’y ait pas d’asymétrie ou d’inégalités des armes entre actionnaires activistes et entreprises.

Vos dix recommandations se font autour de deux thèmes principaux. Lesquels ?

Le premier est l’encadrement des campagnes activistes pour rétablir une forme d’égalité dans le domaine de l’information entre les émetteurs et les activistes. Nous proposons plus de transparence et d’harmonisation en termes de qualité de l’information, de sa cohérence, et de connaissance de la position des activistes. Nous écartons néanmoins une diminution généralisée des seuils de déclarations de franchissement de seuil. Ce serait imposer à l’ensemble du marché des contraintes lourdes et couteuses. Quand il y a campagne publique, il est légitime de travailler sur la clarification de la position des activistes, et sans doute, de demander des déclarations plus complètes qu’aujourd’hui. Par ailleurs, on pourrait s’inspirer des règles de transparence utilisées pour les recommandations des analystes ainsi que des règles applicables à la sollicitation de mandat. Quant à « l’empty voting » (emprunter des titres et les revendre immédiatement après uniquement, pour pouvoir utiliser le droit de vote en AG) – question déjà soulevée par le rapport Mansion-, il ne serait pas illégitime d’avoir une régulation des droits de vote. En privant de droit de vote les titres empruntés dans un certain délai avant une AG, ou en généralisant, par comportement de marché, une pratique de certains gestionnaires dans leurs contrats de prêts visant à interdire l’usage du droit de vote.

Le second thème porte sur l’amont ?

En effet, c’est l’amélioration du dialogue. Nombre d’entreprises s’y livrent, avec bonheur d’ailleurs, dans de multiples cas dont on n’en entend pas parler : les acteurs parviennent à se mettre d’accord et il n’y a pas de campagne. Mais nous pensons qu’il faudrait formaliser les conditions de ce dialogue. Par exemple avec une plateforme permettant aux investisseurs de se grouper et d’avoir un contact avec les entreprises, à l’instar de l’Investor Forum anglais. Ensuite, une campagne publique activiste ne devrait pas pouvoir démarrer avant que la démarche de dialogue ne soit formellement établie, avec des délais permettant à l’entreprise de répondre. Ce dialogue pourrait se structurer autour d’un guide de comportements : les grands investisseurs indiciels et/ou passifs qui, tantôt suivent, tantôt ne suivent pas les activistes, feraient alors du respect de ce guide un des critères de leurs décisions. Enfin, avec le code AFEP-Medef, les entreprises ont amélioré le gouvernement de l’entreprise mais, malgré un réel effort de consultation, il reste un code unilatéral. Les investisseurs devraient s’organiser de manière à pouvoir participer à son élaboration afin qu’il soit lui aussi le fruit d’un dialogue entreprises/investisseurs.

Alors faut-il légiférer ?

Nous écartons une révolution réglementaire ou législative. Ce n’est ni opportun, ni nécessaire, et risque de porter préjudice à la place de Paris dans la concurrence internationale et d’empiéter sur un terrain de niveau européen. En revanche, mettre en œuvre nos préconisations permettrait de s’appuyer sur les régulateurs, en renforçant la magistrature d’influence de l’AMF, mais aussi ses moyens avec, dans un certain nombre de cas, un pouvoir d’injonction. L’ESMA devrait aussi intervenir, en particulier pour faciliter les rapports investisseurs / émetteurs sur une base un peu collective ou clarifier certains concepts en matière d’actions de concert.

Notes de fin

(1) NDLR : contrairement au rapport Woerth qui souhaite une telle diminution des seuils

(2) Rapport du groupe de travail présidé par M. Yves Mansion : Pour l’amélioration de l’exercice des droits de vote des actionnaires en France, septembre 2005, AMF

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