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Le processus collaboratif  : un outil nécessaire au droit des affaires

Par Jeanne Disset

L’AFPDC a tenu son congrès sur la « juste place de l’avocat » et ce fut optimiste, comme souvent avec ces avocats collaboratifs. Il a permis de réaffirmer combien le processus collaboratif avait toute sa place dans la boîte à outils du « nouvel » avocat. Parce que celui-ci n’est plus un avocat « à la barre et garant de la règle de droit ». Parce qu’il est un « avocat un peu psy », qui remet l’humain au centre des enjeux. Parce qu’il est avant tout engagé auprès de ses clients, délibère et collabore avec eux ainsi qu’avec son confrère.

Le congrès de l’Association française des praticiens du droit collaboratif (AFPDC) a débuté par une analyse de la situation de l’avocat aujourd’hui : fin de la relation de « sachant à béotien », place croissante des legaltechs, changement des attentes des clients, déjudiciarisation, amiable versus agressivité, nécessité de faire émerger les problèmes, prise en compte d’intérêts apparemment inconciliables… Face à cette nouvelle donne, quelle est la valeur ajoutée de l’avocat et comment peut-il trouver une juste place et socialement acceptée ? Le processus collaboratif apporte des avantages intéressants : l’écoute client, la place du récit, le travail en équipe, la co-construction de la solution, l’approche stratégique d’un dossier, la confidentialité renforcée, la prise en compte de positions différentes, la prise en considération d’aspects non juridiques du dossier… Nathalie Ganier-Raymond a très largement insisté sur le récit du client, « sans le client, l’avocat n’est rien » : Il ne faut pas l’écouter « vider son sac » puis faire du droit, mais bien conserver tout ce qui est dans le sac pour appréhender la singularité du dossier. Avec d’autres approches, notamment médicales, philosophiques, neuroscientifiques, l’auditoire a défini une nouvelle éthique d’accompagnement des clients. Notamment l’avocat est une sorte de thérapeute des situations sociales, il est un « soignant », ne serait-ce que parce qu’il accompagne de la difficulté voire de la souffrance. Et comme le médecin avec son patient, il se doit d’être toujours plus délibératif avec son client.

L’avocat d’affaires de plus en plus collaboratif

En reprenant tant les nouvelles perspectives de l’avocat (compliance, discovery…) que les vieux débats (vérité judiciaire, intérêt du client, secret…) et en écoutant les praxis des avocats collaboratifs d’affaires, le congrès esquisse des facettes très variées de cet avocat collaboratif. Chaque praticien pourrait donc y adhérer. Les nombreux retours de pratiques concernant l’entreprise démontrent que le droit des affaires ne peut plus en faire l’économie.

Né aux États-Unis dans les années quatre-vingt-dix et réputé comme mode alternatif de règlement des conflits en droit de la famille, spécifiquement créé par des avocats et pour des avocats, ce MARD devient de plus en plus une méthode de négociation contractuelle. Les praticiens utilisent l’outil bien sûr pour résoudre un litige, mais de plus en plus en amont : « notre méthode aide à la prise de décision », quel que que soit le moment de l’intervention et quel que soit le domaine de droit concerné (famille, social, commercial, sociétés…) souligne la présidente Catherine Bourguès-Habif avant d’ajouter « et cet accord, créé avec nos client est bien un contrat ». 

Florent Hennequin, avocat en droit social représentant les salariés, souligne combien le récit des clients devant les Prud’hommes est au cœur du litige, car « c’est le fait qui fait le droit ». Il indique aussi les vertus d’un moment d’échanges, de dialogue entre employeur et employé (et pas qu’entre avocats), tel que le permet médiation, conciliation ou processus collaboratif. Se parler est précieux pour l’apaisement et l’acceptation post litige. L’avocate Carole Ollagnon-Delroise a présenté un cas de droit des sociétés où l’objectif commun de sauver l’entreprise a abouti au règlement du dossier. Le processus collaboratif permet en effet de passer des positions (« mes droits », « je veux »…) aux intérêts (« j’ai besoin », valeurs communes…) pour ouvrir le champ des possibles et bâtir la solution. Stéphane de Navacelle, avocat spécialiste de la compliance, a souligné combien la posture « éviter d’être accusé » et « apporter des informations au procureur au lieu de retenir par tous moyens légaux » change la donne. Un nouveau positionnement éthique en découle : l’avocat, en accompagnant le programme de conformité, participe surtout à une éducation de son client, à la conversion de l’entreprise, de ses salariés et de ses partenaires, à un fonctionnement vertueux, au-delà des déclarations d’intention. « Le rôle de l’avocat, c’est de permettre aux clients de décider » déclare-t-il et cela ne pouvait qu’emporter l’adhésion des praticiens du processus collaboratif qui insistent sur l’autonomie retrouvée de leurs clients. Enfin, Anne Karila-Danziger a rappelé l’aspect contractuel du processus collaboratif et son intérêt pour gérer transparence, vérité, secret, confidentialité. « Le processus collaboratif relève du droit des contrats, ce n’est ni plus ni moins que du droit des obligations avec une application des obligations précontractuelles maintenant codifiées. Tout ce qui doit être divulgué l’est pour aboutir à une convention de bonne foi. La confidentialité renforcée du processus garantit au final que ce qui doit rester secret l’est ». En co-construisant ce contrat, les clients gagnent en autonomie et créent la solution qui leur convient avant tout. « Un contrat utile et juste, c’est aussi de la restauration du lien social » conclut-elle.

Replacer l’humain au centre permettra sans doute à l’avocat d’être beaucoup moins concurrencé – notamment par les legaltechs- et de retrouver une place engagée auprès de ces clients. Prochaine étape : sensibiliser et former les juristes d’entreprise afin de mieux diffuser le processus en pratique.