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Le Club des juristes dresse le premier bilan des CJIP

Par Anne Portmann

Jeudi 5 mars 2020, les acteurs du monde du droit des affaires s’étaient réunis, à l’initiative de l’avocat parisien Jean-Pierre Granjean, afin de faire le point sur les 10 premières conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP) depuis l’introduction de cet outil en droit français. Focus sur le montant et le calcul des amendes prononcées jusqu’alors.

3 030 793 632,00 €. C’est le montant total des amendes d’intérêt public tombées dans l’escarcelle de l’État français du fait des CJIP. « Le montant des amendes va croissant au fil des conventions », a observé Jean-Pierre Granjean, l’organisateur de cette table ronde, dont le cabinet a dressé un tableau synthétique des 10 CJIP qui ont été conclues entre les Parquets et les entreprises, et toutes validées par les tribunaux (Télécharger le tableau). Jean-François Bonhert, désormais à la tête du Parquet national financier (PNF), prenant l’exemple de la CJIP conclue avec Airbus, a relevé en plaisantant que l’époque où le juge Bridois, décrit par Rabelais, tirait ses jugements aux dés, était désormais révolue et que l’amende d’intérêt public avait été calculée, dans cette affaire à l’Euro près. « Le processus de calcul de l’amende est au cœur du dispositif de la CJIP. Il y a, derrière ce mécanisme une volonté de transparence », a-t-il affirmé. Outre les indications qui figurent dans la loi Sapin 2 elle-même, qui fixe le plafond de l’amende à 30 % du CA moyen calculé sur les trois dernières années ayant précédé l’infraction, le PNF dispose de lignes directrices pour le calcul de l’amende, qui figurent dans un document signé avec l’Agence française anticorruption (AFA) et publiées sur le site de l’Autorité. « Elles seront bientôt disponibles sur le site du PNF », a assuré le magistrat. Trois pages entières de ces « lignes directrices » sont ainsi consacrées au calcul de l’amende qui a un double objectif : la restitution du profit illicite perçu par l’entreprise, ainsi qu’une dimension punitive. « Ce calcul sous-entend que nous soyons en possession de la comptabilité de l’entreprise et que nous puissions évaluer le bénéfice financier retiré par la personne morale du ou des contrats viciés, ce qui implique la coopération de l’entreprise ». Les lignes directrices définissent ainsi les charges déductibles et celles qui ne le sont pas, indiquent qu’il faut tenir compte des gains attendus qui n’auraient pas encore été perçus par l’entreprise.

Facteurs majorants, facteurs minorants

Les lignes directrices indiquent également quels sont les facteurs majorants de l’amende. À cet égard, Jean-François Bonhert donne quelques exemples, comme la corruption d’agents publics étrangers ou l’utilisation des ressources de l’entreprise pour dissimuler des faits de corruption. À l’inverse, les facteurs minorants sont constitués par le comportement de l’entreprise. Le procureur financier révèle ainsi que dans l’affaire Airbus, la « coopération exceptionnelle » du géant de l’aéronautique, dont les avocats sont venus solliciter le parquet, a conduit à appliquer le coefficient maximum de réduction de l’amende qui a été divisée par deux. De même, si l’entreprise concernée a pris les devants et a appliqué un programme de conformité avant même d’y être contrainte, cela jouera en sa faveur dans la négociation. Le magistrat relève d’ailleurs qu’en ce qui concerne le montant des amendes dans le dossier Airbus, les méthodes de calcul des autorités américaines et britanniques, intervenues à la CJIP étaient proches de celles du PNF ; « Nous avions calculé, chacun de notre côté, le montant des amendes que nous estimions dues à chaque autorité. Nous sommes arrivés à des sommes voisines, ce qui révèle que nos critères sont à peu près homogènes », s’est félicité Jean-François Bohnert qui a tenu à souligner le fair play de ses homologues américains dans la conduite des négociations. Et de préciser qu’au PNF, les procureurs ont à leurs côtés des assistants spécialisés, dont des experts-comptables, des fiscalistes, des spécialistes de la gestion d’entreprise.

Quelle marge de manœuvre ?

« Il ne s’agit pas du tout d’une négociation commerciale », a toutefois rappelé Eric Dezeuze, associé de Bredin Prat, qui a assisté plusieurs entreprises dans la conclusion de leur CJIP. « L’espace de négociation est restreint, à la fois en ce qui concerne le montant de l’amende, que la présentation des infractions ». Pour l’avocat, l’entreprise dispose d’une marge de manœuvre sur la qualification des faits et les modalités de reconnaissance de ceux-ci. Il souligne aussi qu’en dépit du facteur minorant tiré de la coopération de l’entreprise, cette coopération n’a pas besoin d’être totale pour que le Parquet accepte d’entrer en négociations. « Souvenez-vous des premières CJIP avec information judiciaire : les négociations avaient commencé alors même que l’entreprise avait formé un recours », a-t-il observé. Il note aussi que, pour certaines CJIP, le cumul de l’amende civile et de l’amende d’intérêt public aboutit souvent à un chiffre rond. « Les amendes sont certainement calculées avec une grande rigueur, mais certaines sommes témoignent aussi du pragmatisme du parquet ». Jean-Michel Hayat, ancien président du TGI de Paris et désormais premier président de la cour d’appel de Paris, qui a eu l’occasion de valider plusieurs CJIP, a quant à lui salué la pédagogie du parquet, qui lors des audiences d’homologation, s’attachait à expliquer aux magistrats du siège quels étaient les avantages tirés par l’entreprise des manquements constatés, leur permettant ainsi d’exercer leur contrôle. « Le siège n’est pas l’otage d’une procédure déjà ficelée, nous n’avons pas un choix binaire, car le parquet explique ses choix à l’audience », rassure-t-il. Constatant le succès des CJIP, il a finalement appelé l’État à renforcer les moyens de la justice pénale. « Quand la justice pénale rapporte plus de 3 Mds€ en 3 ans, il faut lui donner des moyens complémentaires », a-t-il conclu.

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