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L’avocat peut désormais être président du conseil d’administration d’une SA

Par Aurélia Granel

S’ils pouvaient être administrateurs du conseil d’administration d’une société anonyme, les avocats ont, depuis un décret du 29 janvier 2020, la possibilité d’exercer la fonction de président. Éclairage de Dominique Bompoint, associé fondateur du Cabinet Bompoint.

Quelle est la raison de cette évolution ?

Dominique Bompoint : Le décret n° 2020-58 du 29 janvier 2020 vise à retirer la fonction de président du conseil d’administration (CA) d’une société anonyme (SA), lorsqu’elle est dissociée de celle de directeur général, des fonctions incompatibles avec l’exercice de la profession d’avocat. En d’autres termes, un avocat peut désormais exercer la fonction de président du CA d’une SA s’il n’est pas aussi son directeur général. Cette modification réglementaire était inattendue. Un intérêt particulier pourrait se dissimuler derrière ce texte général. C’est déjà arrivé. Il pourrait par exemple y avoir eu, à l’origine, un groupe de sociétés reçu par héritage, ou par mariage, par un avocat appartenant à une famille influente. Sinon, cette ouverture pourrait résulter d’une prise de conscience devant la juridicisation du fonctionnement des organes sociaux, notamment dans les sociétés cotées, qui entraîne un besoin accru de conseils juridiques. On aurait pu se satisfaire de l’ouverture aux avocats de la fonction d’administrateur, mais le leadership inhérent à la fonction de président du CA constituera, sans aucun doute, un atout supplémentaire pour l’entreprise.

Pourquoi cette fonction leur était-elle interdite ?

D. B. : Les fonctions de président du CA ont été affaiblies par la loi NRE du 15 mai 2001. Avant cette réforme, le CA possédait un pouvoir de représentation de la société à l’égard des tiers, concurrençant celui du directeur général. Depuis, le CA définit la stratégie, mais ne peut plus intervenir directement dans la gestion. Que l’avocat soit administrateur ou président du CA, il n’aura jamais plus de pouvoir que l’organe lui-même. Il est donc curieux que l’interdiction d’exercer la fonction de président du CA ait tant perduré. Par ailleurs, la présidence du conseil de surveillance (CS) est une fonction ouverte aux avocats depuis longtemps. Or, dans leur fonctionnement, ces deux organes sont parfois très proches. J’irai même plus loin, car de nombreux CS s’immiscent dans la gestion au moins autant que les CA, en allongeant la liste des décisions du directoire qui requiert leur autorisation. Cette différenciation d’accès aux fonctions de président du CA et du CS était donc injustifiée. En revanche on peut se demander l’intérêt de cette réforme quand on sait qu’un avocat peut être président d’une société par actions simplifiées (SAS) et que cette forme juridique représente désormais près d’une société commerciale sur trois.

Quels sont les atouts des avocats dans l’exercice de ce mandat ?

D. B. : Les règles de gouvernance des sociétés cotées se sont densifiées ces dernières années. Sont à prendre en considération le droit dur, mais aussi le droit mou, correspondant par exemple au code Afep-Medef. Entre leurs révisions permanentes et leurs interprétations évolutives, les règles liées à la composition et au fonctionnement des organes sociaux, ainsi qu’à la rémunération des dirigeants, sont devenues très complexes. La réglementation est également très sévère en cas d’abus de marché, notamment lors d’un manquement d’initié. Or un administrateur aura forcément accès à des informations privilégiées lors de son mandat. Dans ce contexte, il est utile pour les CA de sociétés cotées d’avoir en leur sein, comme membre ordinaire ou président, une personne maîtrisant ces sujets. Si les sociétés cotées constituent désormais une sorte d’appartement témoin de la politique économique du moment, tenues de montrer l’exemple sur bien des sujets (raison d’être, RSE, rémunérations, diversité, etc.), les sociétés fermées ont une attention médiatique inférieure et une réglementation moins complexe. Les connaissances juridiques d’un avocat administrateur ou président du CA leur seront utiles, mais dans une moindre mesure. L’entreprise pourrait faire le choix de se reposer sur ses juristes d’entreprise, mais voir siéger ou présider un avocat au CA, lui permettra d’être encore mieux avisée juridiquement. Un avocat administrateur ou président du CA pourra aider le conseil à traiter de sujets sensibles en toute neutralité, comme la révocation du directeur général par exemple, ce qui s’avérerait autrement plus compliqué pour un avocat choisi par la direction générale dont la révocation est envisagée.

Quid de l’indépendance de l’avocat ?

D. B. : Certains banquiers d’affaires ont pu intégrer des CA dans l’espoir que leurs banques récupèrent des mandats. Il ne pourrait en être ainsi d’un avocat qui serait administrateur ou président du CA, car son indépendance serait compromise s’il devenait le conseil de la société en parallèle. Un avocat devrait logiquement renoncer à exercer une mission de conseil externe pour cette société, à l’assister vis-à-vis des tiers dans le cadre de ses opérations de gestion et à la défendre devant les tribunaux. Il n’aurait pas de recul : comment pourrait-il analyser lucidement les faiblesses d’une décision stratégique à laquelle il aurait concouru comme administrateur et qui serait ensuite attaquée en justice ? Comment pourrait-il sereinement négocier une transaction visant à éteindre une telle attaque et, ce faisant, à couvrir sa propre responsabilité ? Ce serait également un délicat mélange des genres qu’un avocat administrateur ou président du CA aille négocier une acquisition pour l’entreprise : quelle liberté d’appréciation cette mission lui laisserait-elle en tant qu’administrateur au stade de l’autorisation, en conseil d’administration, de cette opération ? C’est pourquoi notre règlement intérieur (art. P. 41.7) interdit aux avocats exerçant un mandat social « d’occuper » pour la société au sein de laquelle ils les exercent, ce que notre conseil de l’Ordre interprète comme couvrant à la fois l’activité contentieuse et l’activité de conseil (avis du 2 avril 2001). 

Dominique Bompoint Cabinet Bompoint Cabinets d'avocats Avocats